A quelques jours de la date anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin (le 15 janvier 1622), et de la première du Tartuffe ou l’Hypocrite dans sa version originelle qui sera jouée pour la première fois par la troupe de la Comédie-Française, replongeons-nous dans la lecture de la biographie de Molière, celle de Georges Forestier, professeur à la Sorbonne qui a reçu en 2019 le prix de l’Académie française de la biographie 2019.
Georges Forestier a consacré la plus importante partie de sa carrière au théâtre classique. Il est notamment à l’origine de l’édition des œuvres complètes de Racine puis de Molière à la Pleïade. Ces dernières années, il s’est attaqué à la vie de l’illustre dramaturge, afin de démêler le vrai du faux, l’anecdote du fait historique, le tout dans le cadre rigoureux de la recherche universitaire.
Dans l’avant-propos, l’auteur revient sur les vies de Molière qui ont précédé la sienne, notamment la première, parue en 1705 sous la plume de Jean-Léonor Le Gallois de Grimarest. Cet ouvrage a été la source de Boulgakov pour Le Roman de Monsieur Molière (1933) ou encore d’Ariane Mnouchkine pour son film, Molière (1978). Pourtant, ce document n’a rien d’authentique et il a contribué à construire le « mythe » de Molière à travers les âges, jusqu’à aujourd’hui… Georges Forestier attaque Grimarest de front. Exit l’auteur à la santé fragile, malheureux en amour qui s’inspire de sa vie pour écrire ses pièces… Le biographe affirme vouloir faire « table rase » et laisser de côté les « vérités mythiques » pour se concentrer sur les « vérités attestées ». Il rend à Molière ce qui est à Molière, à savoir sa vie, ou du moins ce qu’on en sait…
Car l’auteur rappelle que l’on ne conserve aucun document privé ayant appartenu à Molière, pas une lettre, encore moins de journal. Forestier a ainsi fouillé les sources archivistiques aussi diverses qu’authentiques. L’analyse est bâtie seulement sur des données factuelles et vérifiables sur lesquelles le biographe porte, selon lui, un regard neuf. Il allie les témoignages recueillis du vivant de Molière à de profondes analyses de textes qui mettent en lumière les sources d’inspiration et le lien entre chacune des œuvres.
Si on ne connaît toujours pas les mets préférés de Molière (quelle importance ?), grâce à Forestier on dévore des faits. Les réactions du public, ses rivalités avec les autres théâtres, ses relations commerciales et son efficacité littéraire. Le biographe assume : « face à l’impossibilité de se mettre dans l’intimité du cœur de Molière », il a cherché à reconstruire ses pensées.
La quantité d’informations que Georges Forestier rassemble et expose est immense. Sur plus de 500 pages, l’auteur dit tout ce que l’on peut savoir sur la vie de Poquelin et ses ancêtres, de Beauvais à la rue Saint-Honoré, ses tournées en Province et, à la fin de sa vie, sa fréquentation de la cour de Louis XIV, sans oublier son amitié avec Lully et Corneille et les origines de sa rivalité avec Racine. Forestier dit aussi ce que l’on ne sait pas, ces années sur lesquelles aucune information ne subsiste, notamment sur son entourage supposé, voire fantasmé. Encore une fois, Forestier déconstruit, chasse la poussière du mythe pour faire ressortir le lustre de l’histoire.
Plus Molière prend de l’âge, plus les pages se font précises. On revit la création de l’Illustre Théâtre, sa première troupe en juin 1643. Les tournées juteuses à l’extérieur de la capitale, d’Agen à Lyon en passant par Montpellier. La concurrence avec l’Hôtel de Bourgogne et Le Marais. La première fois que Jean-Baptiste Poquelin signe Molière. Ses premières œuvres, réductions de grandes comédies et sa première véritable pièce : L’Etourdi ou le Contretemps (1654-1655) bâti sur une trame italienne. Les grands succès : de l’Ecole des femmes au Tartuffe, et les pièces moins connues aujourd’hui qui ont néanmoins eu un retentissement important à l’époque comme Psyché. Les décors, les aménagements de salles de spectacle temporaires lors des fêtes à Versailles. L’analyse des textes vient illustrer à merveille le contexte historique exposé par le biographe.
Ainsi, Georges Forestier ne se contente pas de détruire la légende, il donne naissance à la première « véritable » vie de Molière. La précision est au rendez-vous, il n’y a pas d’interprétations superflues. Le fil chronologique allié à une plume rare rendent la lecture fluide et prenante. Cette histoire dégagée des anecdotes inscrit le personnage dans son époque et n’en fait pas un héros hors d’âges. On connaît désormais la vie de Molière, avec ses zones d’ombres et de lumières.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
Georges Forestier, Molière (Biographies Gallimard, 542 pages) – Lien vers le site de l’éditeur
Cependant, Forestier, de son propre aveu, ne connait guère la vie ni l’oeuvre de Michel Baron, qui est pourtant l’héritier de Molière, et la source des deux premières biographies (Vie de Moliere, La Fameuse Comédienne). Forestier connait mal, en outre, le cercle libertin autour de Molière, Chapelle, Dassoucy, Cyrano, Nantouillet et Jonsac… Voir notamment mon face à face avec lui dans le Nouvel Obs à l’occasion du Banquet d’Auteuil.