A partir du 6 mars, l’Odéon accueille l’un des événements théâtraux de la saison : La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, dans une mise en scène d’Ivo van Hove avec Isabelle Huppert en tête d’affiche. Cette collaboration fortement désirée par les deux artistes arrive avec un rôle à la mesure de l’une des plus grandes actrices françaises de notre époque, celui d’Amanda Wingfield. L’occasion pour nous de parler de ce personnage important de l’œuvre de Tennessee Williams.
En 2015, Maïa Foulis soutenait un mémoire de fin d’étude à l’Université Grenoble 3 sur « l’évolution des personnages féminins dans le théâtre de Tennessee Williams », un panorama dressé sur cinq pièces couvrant trente ans de l’œuvre du dramaturge, dans lequel elle analyse longuement le personnage d’Amanda Wingfield, la mère de La Ménagerie de verre.
Les personnages féminins de la pièce sont parmi les plus autobiographique de l’auteur. Laura, jeune fille boiteuse et timide renvoie à la sœur véritable de Tennessee Williams qui a passé sa vie en hôpital psychiatrique. Certaines lectures de la pièce voient aussi en Laura une partie de Tennessee Williams lui-même, l’écrivain pouvant se sentir différent à cause de son homosexualité. Cependant, dans Amanda, on retrouve l’archétype de la « southern belle », inspiré en cela de la mère de Williams, s’évertuant à éduquer ses enfants malgré l’absence du père qui, dans la vie de l’auteur était sans cesse sur les routes.
La « southern belle » est l’archétype d’un certain type de femme issu de ce qu’aux États-Unis, on appelle le sud. À savoir une femme descendant d’un milieu aisé, très coquette, gracieuse, suscitant le désir mais soucieuse de garder sa pureté. Ce stéréotype est sorti renforcé de la Guerre de Sécession qui voit la défaite des états du sud. Les habitants de l’Alabama, du Tennessee ou de la Géorgie se sont alors réfugié dans l’exaltation des traditions et des coutumes d’une époque révolue. La « southern belle » est une image nostalgique, l’icône d’un passé perdu. On la retrouve aussi dans le personnage de Scarlet O’Hara, héroïne d’Autant en emporte le vent.
Plus encore, la « southern belle » est une femme blanche soumise à l’homme blanc qui la protège des esclaves noirs. Ainsi, les Américains la considèrent aujourd’hui, et la considéraient déjà du temps de l’écriture de La Ménagerie de verre (1944) comme un type de personne ridicule et plutôt raciste. En effet, la possibilité d’être ce genre de personne était fortement lié à l’esclavage très présent dans ces États. Amanda y fait d’ailleurs référence, parlant de tous les serviteurs qu’elle avait autrefois et qui sont tous partis aujourd’hui, emportant avec eux les « vestiges d’une vie digne ».
En employant cette figure dans la Ménagerie de verre, Tennessee Williams critique la société et la culture américaine, incarnée dans la dualité féminine, à savoir la tension entre l’image publique et la vérité de l’intimité. Maïa Foulis souligne que cette complexité du personnage féminin est propre à Williams qui est l’un des rare auteurs masculin (peut-être même le seul) à ne pas suivre un schéma manichéen pour ses personnages de femmes, comme pouvait le faire Arthur Miller, par exemple, qui présente des femmes qui sont soit « bonnes », soit « mauvaises ».
Si la perception du personnage d’Amanda par le public dépend de comment elle est jouée, elle tient toujours à ses anciennes valeurs qu’elle distille tout au long de la pièce, pour elle, une femme doit être jolie, avoir de la conversation et savoir recevoir. Elle exprime aussi son dédain pour les femmes non mariées. De par l’absence de son mari, Amanda occupe aussi la position d’une femme forte, contraire aux traditions dont elle se targue de descendre tout au long de la pièce. Nuançant ainsi ce mythe d’une Amérique déchue, dans laquelle Williams a baigné une large partie de sa vie.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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