Mis en scène par Nicolas Chapoulier, ce « tutoriel théâtral pour réussir sa mort et celle des autres » embarque le public dans une cérémonie délurée jouant d’une diversité d’émotions. Le collectif pluridisciplinaire des 3 Points de suspension confirme ici sa capacité à se saisir de thèmes profonds avec légèreté et intelligence.
Le rapport qu’une société entretient à la mort instruit, à sa façon, sur la manière dont elle considère ses vivants. Forte du constat d’une mise à distance autant que d’une maîtrise sur la mort opérée par notre société actuelle, la compagnie Les 3 Points de suspension imagine pour son nouveau spectacle un rituel collectif généreux et sensible afin de réinvestir ce moment. Dans un chapiteau ouvert occupé en son centre par une table circulaire et quelques micros, le trio constitué de Jérôme Colloud, Renaud Vincent et Cédric Cambon nous accueille. Tandis que les deux premiers, en bons maîtres de cérémonie, sont vêtus de costumes sobres, le troisième – assurant aussi la régie – arbore un t-shirt avec l’inscription « miracle ». Jérôme Colloud explique nous recevoir dans « l’espace Hibou » dédié à la mort, puis enchaîne mi-sérieux, mi-goguenard, en nous demandant de lui confirmer que nous avons bien conscience que nous finirons tous par mourir. Dès ces premières minutes, le ton est donné : s’il s’agit bien ici d’une cérémonie pour réparer le lien entretenu avec la mort, celle-ci ne sera pas (forcément) grave.
Abordant le sujet de la disparition et du deuil, le collectif va en explorer les multiples facettes en passant par divers registres et évocations. Réalisation live d’une cérémonie mortuaire pour un spectateur volontaire permettant de donner à voir – en le tirant vers le comique – le travail des conseillers funéraires, petit historique du spiritisme (notamment pratiqué par Victor Hugo sur l’île de Jersey pour communiquer avec sa défunte fille Léopoldine) suivi d’une mise en pratique, évocation des différentes possibilités de devenir une dépouille (inhumation, crémation, humusation), données chiffrées sur le nombre de morts en milieu hospitalier, récit d’une rencontre avec une thanadoula, cette « sage-femme de la mort », ou encore lecture du testament de l’un des acteurs sont autant de séquences composant le spectacle. Ce patchwork, les membres du trio le mène de main de maître, prenant la parole chacun leur tour, ponctuant leurs interventions de séquences musicales – qui participent bien souvent de la mise à distance.
Constitué d’incessants moments d’accélération et de décélération, Hiboux saisit par sa versatilité, sa capacité à nous balader d’une émotion à l’autre et à passer avec plasticité du rire aux larmes. Citons ainsi la séquence géniale, car complètement folle d’imitation de Gilles Deleuze, aboutissant à un morceau remixant la parole du philosophe. Si le spectacle – qui aurait du voir le jour au printemps 2020 et n’a eu de cesse d’être reporté – souffre encore de quelques longueurs et moments de relâchement, la faute à une dramaturgie pas complètement musclée, l’ensemble saisit. Par sa manière, donc, d’installer de grands moments d’émotions, puis de nous prendre à revers pour basculer dans l’humour et la mise à distance ironique. Par sa façon, aussi, de faire feu de tout bois en étirant chaque séquence au maximum de son potentiel. Par la sincérité et l’engagement du trio, enfin : dès le début, Renaud Vincent explique avoir suivi une formation de conseiller funéraire de quelques mois pour préparer ce spectacle, avant de confier, un peu plus plus tard, qu’il a traversé un deuil difficile. Au-delà de l’aspect témoignage, ces paroles signalent la position de l’équipe, qui, si elle aime les contre-pieds et l’humour noir, si elle passe du recueillement au déchaînement, n’est pas dans une position de surplomb vis-à -vis de son sujet ou des spectateurs.
Cette aisance à évoluer d’un genre à l’autre – et qui était déjà à l’œuvre dans l’un des précédents opus de l’équipe, La grande saga de la Françafrique – n’oblitère pas le désir du collectif de nous transmettre ses interrogations sur la mort. Au-delà des galéjades, l’ensemble nous renvoie à des questions fondamentales : quel contact entretenir avec nos morts ? Qu’est-ce qu’une société tenant absolument à tenir la mort sous contrôle ? Ces questions prenant acte de la perte d’un savoir et de pratiques collectives du deuil trouvent un prolongement dans d’autres interrogations empruntées à Gilles Deleuze : qu’est-ce qui est important dans une vie ? À quoi avez-vous donné de l’importance ? Par ce partage concret et direct de ces réflexions – qui ira jusqu’à des SMS envoyés par les spectateurs –, Hiboux invite chacun à reconsidérer son attitude face à la mort. Et, partant, également face à la vie.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Hiboux
Écriture Les 3 Points de suspension
Mise en scène Nicolas Chapoulier
Avec Jérôme Colloud, Renaud Vincent, Cédric Cambon
Création musicale et sonore Jérôme Colloud, Renaud Vincent
Scénographie Cédric Cambon, Gaël Richard
Costumes Sophie DeckCoproduction Pôle Arts de la Scène-Friche la Belle de Mai, Groupe des 20-Scènes publiques Auvergne-Rhône-Alpes, Château Rouge – Annemasse, Espace Malraux – Scène Nationale de Chambéry et de Savoie
Durée : 1h40
4 octobre 2024
Centre Culturel de la Ricamarie
La Ricamarie (42)du 10 au 12 octobre 2024
Théâtre de la Renaissance
Oullins (69)
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