Baltimore 1951. Henrietta Lacks, femme afro-américaine, décède d’une tumeur cancéreuse. Ses cellules sont les premières à avoir pu être cultivées in vitro, utilisées ensuite dans le monde entier sous le nom de « HeLa ». Henrietta ne savait pas que ses cellules avaient été prélevées. Elle ne savait rien des cellules HeLa. Sa vie est un mélodrame digne d’un film hollywoodien. Mais considérons cette histoire du point de vue du bien commun et de la question de la propriété des cellules. Les progrès de la science auraient-il été possibles si nous avions le droit de demander une compensation financière pour l’utilisation de nos tissus ? Quel serait le prix de cellules saines et de cellules cancéreuses ? Lesquelles auraient plus de valeur ? Anna Smolar, metteuse en scène et traductrice franco-polonaise, travaille et vit en Pologne où elle met en scène Paul Claudel, Joël Pommerat ou encore Albert Camus.
« J’ai découvert cette histoire grâce au curateur d’un festival en Pologne qui a eu lieu au Centre Scientifique Copernic de Varsovie. Je n’avais jamais entendu parler d’Henrietta Lacks. J’ai été choquée de découvrir que ce nom si important dans l’histoire du progrès humain, de la médecine et de la science, a été totalement effacé.Quelle est cette personne qui a donné à la science ses cellules ? Enfin. Non. Elle ne les a pas données, on les lui a prises. Henrietta Lacks était en traitement, presque mourante, et ne savait même pas que dans l’autre aile de l’hôpital, juste à côté, étaient menées ces expériences incroyables. On ne demandait pas leur avis aux patients, on prenait tout simplement leurs cellules. Il n’y avait pas du tout ces questions éthiques d’appartenance, de l’ADN ou du code génétique.
Pourtant, les cellules HeLa – diminutif d’Henrietta Lacks – sont présentes dans tous les laboratoires du monde. Elles permettent aux scientifiques de faire un nombre incroyable d’expériences, d’établir le traitement contre le sida ou contre un certain nombre de cancers par exemple. Ce sont les premières cellules humaines à avoir résisté à l’extérieur du corps humain. Le professeur George Gey a réussi à les isoler grâce à l’intensité incroyable du cancer qui était dans le corps d’Henrietta Lacks. Ses cellules se multipliaient de façon furieuse et ont continué une fois à l’extérieur de son organisme. Henrietta Lacks n’est pas une héroïne scientifique. Mais ce qu’on montre dans le spectacle, c’est que la brebis Dolly – celle qui a été clonée – est devenue une sorte de symbole beaucoup plus connue. Henrietta Lacks pourrait être un symbole. Mais elle était noire, venait d’un milieu très pauvre, et ce n’était pas ce que la médecine blanche américaine des années 50 voulait montrer comme figure du progrès.
Nous avons décidé d’écrire notre propre fantaisie. Nous avons voulu faire se rencontrer le personnage d’Henrietta Lacks et du scientifique George Gey pour rendre compte de ce paradoxe. Une femme meurt oubliée dans des souffrances terribles, et ce succès gigantesque apparaît et conduit à un business énorme, celui des usines HeLa. Peut-être que ce spectacle permet de créer des monuments à ceux envers qui nous avons une dette.Je voulais travailler aussi en écriture collective avec ces quatre acteurs avec qui je collabore souvent. Nos nombreuses lectures s’enrichissent de rencontres : ici, avec des malades du cancer, des spécialistes de bioéthique et de la relation psychologique entre médecins et patients. Nous avons commencé ce travail d’improvisation qui nous a permis d’écrire le texte ensemble, de construire une dramaturgie grâce à l’imaginaire des comédiens et leur sens de l’humour.
Nous voulions également nous rapprocher d’Henrietta Lacks et de son époque. Par exemple, elle aimait danser et nous voulions la montrer en vie sur scène. Nous avons alors décidé d’utiliser des numéros de claquettes, métaphore des cellules qui se multiplient. Si on mettait toutes les cellules HeLa côte à côte, on pourrait faire trois fois le tour du monde. »
Anna Smolar, metteuse en scène
Interview réalisée en juin 2019
Henrietta Lacks
Avec Marta Malikowska, Sonia Roszczuk, Maciej Pesta, Jan Sobolewski
Mise en scène Anna Smolar
Texte Anna Smolar, Marta Malikowska, Maciej Pesta, Sonia Roszczuk, Jan Sobolewski
Collaborateur dramaturgique Piotr Gruszczyński
Décors, costumes Anna Met
Musique Natalia Fiedorczuk-Cieślak
Lumières Rafał Paradowski
Chorégraphie Jan Sobolewski & Ensemble
Coiffures Marek Nowak
Traduction en français Margot Carlier
Coproduction Nowy Teatr et Centrum Nauki Kopernik
Partenaire Fundacja Onkocafe – Razem Lepiej
Avec le soutien de l’Office National de Diffusion Artistique
Une tournée organisée par l’association Sens Interdits.Durée : 1h05
CDN Orléans
MARDI 15 OCTOBRE 20H30
MERCREDI 16 OCTOBRE 19H30
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