Olivier Py propose une version condensée et survitaminée de son feuilleton théâtral, Hamlet à l’impératif !, avec quatre acteurs professionnels et un musicien. Dans le plus pur style du théâtre de tréteaux, il fait dialoguer la pièce-maîtresse du grand Will avec une série de penseurs et l’éclaire d’un jour nouveau.
Après s’y être longtemps refusé, il s’y est finalement résolu. A la suite d’Alain Badiou, Thomas Jolly, Anne-Laure Liégeois, David Bobée et Blandine Savetier, Olivier Py a décidé de descendre lui-même dans l’arène du Jardin Ceccano pour prendre en charge le feuilleton théâtral de la mi-journée, devenu, au fil des éditions, l’un des marqueurs du Festival d’Avignon. Pour tempérer cette prise de risques, l’artiste-directeur s’est aventuré dans un terrain qui lui est on-ne-peut-plus familier, celui de Shakespeare, auquel il revient à intervalles réguliers. Après Roméo et Juliette et Le Roi Lear, le voici face à la tragédie des tragédies, celle d’Hamlet, qu’il avait déjà affrontée, il y a quelques années, avec des détenus du Centre pénitentiaire du Pontet.
Sauf qu’il n’était pas question pour Olivier Py de simplement « saucissonner » la pièce pour en délivrer, chaque jour, un petit morceau, comme le veut la logique du feuilleton. Son Hamlet à l’impératif ! est, en réalité, une version augmentée de l’oeuvre-maîtresse du grand Will. Le metteur en scène fait dialoguer ses passages les plus célèbres, et signifiants, avec des philosophes pour voir comment elle a irrigué leur pensée et comment ils se sont débattus avec elle, à base d’analyses et de contre-analyses, chacun cherchant à trouver les clés de ce monstre théâtral aux mille serrures. De cette ambition, sont nés dix épisodes autonomes, donnés les uns après les autres, du 6 au 22 juillet, dans le jardin de la bibliothèque Ceccano, avec les élèves de l’Ecole régionale d’acteurs de Cannes et de Marseille et des citoyens amateurs de théâtre, mais aussi un onzième où les quatre comédiens professionnels et le musicien se retrouvent seuls à bord pour en proposer une version condensée en un peu plus de 2h20 – contre 1h30 prévue initialement.
S’y enchaînent, alors, à un rythme effréné et survitaminé, les scènes les plus fameuses de ce chef d’oeuvre, de l’incontournable « To be or not to be » au délire des fossoyeurs, en passant par la mort d’Ophélie, le théâtre dans le théâtre d’Hamlet et l’échec de l’assassinat de Claudius. A chaque tournant, le temps dramatique est suspendu pour entrer en résonance avec la parole de penseurs de tout poil, et de tous bords, tels Heidegger, Hegel, Nietzsche, Derrida, Sartre ou encore Wittgenstein. Loin de se complaire dans une logique universitaire rébarbative, cette explication de texte d’un genre nouveau se fait volontairement populaire, à la portée d’esprit de toutes et de tous. Elle est aussi, pour Olivier Py, au-delà des grands thèmes abordés – le complexe d’Oedipe qui sous-tend les rapports d’Hamlet et de Gertrude, la paralysie de l’action politique, la déconstruction féministe du mythe d’Ophélie… –, l’occasion de se questionner, en guise de fil rouge ininterrompu, sur le théâtre, son pouvoir, ses limites et, comme attendu avec lui, l’art dramatique peut beaucoup face aux tourments du monde.
Surtout, le projet, au lieu de la noyer sous un monceau de commentaires, élucide la pièce et en démêle les méandres. Alors qu’on ne le connaît que trop, il parvient même, parfois, à l’éclairer d’un jour nouveau. Si la langue est aussi emphatique que poétique, l’humour est aussi éminemment présent et permet à cette version augmentée, exubérante, d’être presque plus digeste que le texte d’origine. Comme souvent chez Olivier Py, le procédé n’échappe pas à quelques longueurs, notamment dans ses dernières encablures, mais les comédiens, toujours à la relance, tirent l’ensemble avec une énergie folle. Sur un simple podium, en bi-frontal, avec la fresque d’une bibliothèque en toile de fond, ils ne disposent que de quelques accessoires et costumes – qu’on devine hérités de créations passées – et se servent avant tout de la force de leur jeu. Céline Chéenne se fait alors tantôt poignante, tantôt hilarante, mais toujours très incarnée, Bertrand de Roffignac fait montre de son talent d’acteur possédé, quand Moustafa Benaïbout et Damien Bigourdan se révèlent plus en délicatesse, mais non moins efficaces. Façon, pour eux, dans le plus pur style du théâtre de tréteaux, de remplir le contrat du Jardin Ceccano et de mettre la majesté shakespearienne à la portée de toutes et de tous.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Hamlet à l’impératif – La pièce
D’après William Shakespeare
Texte, traduction et mise en scène Olivier Py
Avec Moustafa Benaïbout, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Bertrand de Roffignac, et le musicien Julien Jolly
Composition, percussions Julien Jolly
Assistanat à la mise en scène Bertrand de Roffignac aidé de Julien MassonProduction Festival d’Avignon
Coproduction Le Théâtre Scène nationale de Saint-Nazaire
Avec l’aide du Théâtre du Châtelet
En collaboration avec la bibliothèque Ceccano
Résidence La FabricA du Festival d’AvignonDurée : 2h20
Festival d’Avignon 2021
Jardin de la bibliothèque Ceccano
les 8, 12, 16, 20 et 23 juillet à 12h, et les 8, 10, 12, 15, 22 et 23 juillet à 18hEspace Bernard-Marie Koltès, Metz
les 7 et 8 octobreComédie de Reims
du 11 au 13 mai 2022Comédie de Colmar
les 31 mai et 1er juin
Les élèves et amateurs sont-ils payés ? Merci.
Voici la réponse transmise par la direction du Festival d’Avignon
« Le projet du Feuilleton a été inventé dès l’origine avec et pour des citoyens, étudiants et professionnels, non pas un spectacle mais un moment de partage gratuit dans un jardin public.
Les amateurs participent à des ateliers et il ne s’agit donc pas d’un cadre professionnel rémunéré, les étudiants sont en formation. Ceux qui n’appartiennent pas à ces deux catégories sont des professionnels rémunérés. »