
© Simon Gosselin
Désormais centenaire, l’Opéra de Lille ouvre sa saison anniversaire avec un percutant Don Giovanni de Mozart dans une mise en scène du flamand Guy Cassiers aux accents crus et sanglants.
C’est entre les murs froids et carrelées d’un atelier de boucher, où pendent et suintent des carcasses de porcs sur leurs crocs, que le metteur en scène Guy Cassiers fait débouler son Don Giovanni à la noce de Zerlina et Masetto. Les convives ne sont autres que des employés en blouses, charlottes et tabliers de travail. Le tyran séducteur amadoue la jeune et future épouse en lui chantant son charmeur « Là ci darem la mano » devant une longue table servant à la découpe de la viande qui deviendra par la suite celle d’un orgiaque banquet où se mêleront aux mets frugaux des corps dénudés. Sexe et sang font donc bon ménage dans cette nouvelle lecture du chef-d’œuvre de Mozart. Empreinte de cruauté, cette version n’est pas non plus exempte de beauté visuelle. On reconnait le goût de Cassiers pour les effets d’optique, pour l’illusion des volumes et des motifs, insaisissables et capiteux, dans la forte dimension picturale du travail réalisé sur l’image vidéo toujours consubstantielle de son geste scénique. Mais le spectacle veut d’abord radicalement effacer la supposée galanterie de Don Giovanni pour mieux mettre en évidence sa malaisante férocité.
Projetée sur le rideau de scène pendant l’ouverture, une citation extraite d’un essai de Freud intitulé Le Malaise de la civilisation et paru en 1930 met en garde sur les propensions qu’a l’espèce humaine à se laisser dévorer par ses pulsions d’agressions et d’autodestructions. Posé sur un champ de ruines et de cendres préfigurant un déclin inexorable, le décor inhabituel qui a été retenu permet d’exacerber de façon prenante la violence inouïe, primitive, des rapports sexuels et plus largement humains et sociaux qui sont mis en scène dans l’opéra.
Ce Don Giovanni en noir et rouge, qui fait se conjuguer les ténèbres à l’hémoglobine, trouve une gamme de couleurs tout aussi franches et plus variées dans la fosse d’orchestre où le Concert d’Astrée et son électrique cheffe reviennent à Mozart pour le gorger d’une superbe vitalité incendiaire, presque vitriolée. Après avoir exhumé avec succès le Xerse de Lully et l’Indian Queen de Purcell, Emmanuelle Haïm et Guy Cassiers entament à Lille leur troisième collaboration. Ils relèvent le défi de mettre en valeur de jeunes interprètes internationaux particulièrement investis et au service de la vision déployée.
Contrairement au Don Giovanni donné en ce moment à l’Opéra Bastille, le plateau lillois est dominé par ses voix féminines : à commencer par l’épatante Emöke Baráth en pleine possession d’ardents moyens dans le rôle de Donna Anna, bien secondée par le délicat Ottavio d’Eric Ferring. Chiara Skerath en émouvante Elvire donne ce qu’il faut de caractère à la femme trompée. La Zerlina de Marie Lys, pleine de finesse et de fraicheur juvéniles, joue la carte de la dominatrice en maniant à merveille le couteau et le bondage sur son fringant Mazetto, Sergio Villegas Galvain. Forte présence dans le rôle-titre, Timothy Murray possède une voix de velours et un doux legato mais qui n’a semble-t-il pas donné toute la puissance attendue jusqu’au dénouement combattif avec le commandeur (James Platt). Le Leporello de Vladyslav Buialskyi entretient un rapport intéressant de quasi-gémellité avec son maître à qui il voudrait évidemment ressembler. Il manque aussi chez le baryton un plus net relief vocal. Le final paroxystique présente les deux chanteurs ruisselants d’hectolitres de sang déversés. Poitrine offerte et maculée, lascivement lové sur de grands monticules de viande sous vide, Don Giovanni se vautre dans l’obscénité, expose sa vorace jouissance et son inhumaine bestialité, avant de trépasser.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Don Giovanni
ou Il dissoluto punito ossia Il Don Giovanni
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Livret de Lorenzo Da Ponte
Créé en 1787 à PragueEmmanuelle Haïm direction musicale
Guy Cassiers mise en scène
Tim Van Steenbergen scénographie et costumes
Fabiana Piccioli lumières
Clémence Bezat collaboration à la scénographie
Annamaria Rizza collaboration aux costumes
Frederik Jassogne vidéo
Erwin Jans dramaturge
Simon Proust assistant à la direction musicale
Benoît De Leersnyder assistant mise en scène
Benoît Hartoin, Philippe Grisvard chefs de chant
Louis Gal chef de chœurAvec
Don Giovanni Timothy Murray
Le Commandeur James Platt
Donna Anna Emőke Baráth
Don Ottavio Eric Ferring
Donna Elvira Chiara Skerath
Leporello Vladyslav Buialskyi
Masetto Sergio Villegas Galvain
Zerlina Marie LysChœur de l’Opéra de Lille
Le Concert d’Astrée
ensemble en résidence à l’Opéra de LilleNouvelle production Opéra de Lille
Durée : 3h30
Opéra de Lille 2023
05 oct. 19h30 | 07 oct. 18h | 10 oct. 19h30 | 12 oct. 19h30 | 15 oct. 16h | 16 oct. 19h30
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !