Spectacle construit autour d’un jeune homme d’Aubervilliers rencontré à l’occasion d’un atelier théâtre, Güven est une expérience comme seule sait les imaginer Marie-José Malis, qui, outre la découverte d’un « acteur né » donne matière à penser sur le fossé qui sépare le théâtre public des milieux populaires, et ouvre des pistes pour le combler.
Parmi tous ses mérites, Marie-José Malis a celui de véritablement chercher à modifier les pratiques du monde du théâtre. Ambition partagée par beaucoup d’autres artistes qui en restent cependant souvent au stade du discours. Le travail qu’elle mène à La Commune est sur ce point éloquent. Dans une ville très populaire, l’une des plus pauvres de la banlieue parisienne – Aubervilliers –, elle avait par exemple monté une pièce d’Alain Badiou avec des habitants. Parmi eux, Güven Tugla, jeune homme d’origine turque, albertivillarien de naissance, cameraman pour la mairie. Un garçon que rien, dit-il, dans son univers, ne prédispose au théâtre ; qui n’y est passé, avec une certaine défiance, que dans le cadre de son travail municipal. Et qui a pourtant répondu à une annonce placardée sur les murs de la ville.
D’emblée, Marie-José Malis est séduite par l’aisance de Güven sur scène, son pouvoir comique, son plaisir d’être sur le plateau et bien d’autres qualités encore. Puis, vient le confinement. Güven envoie à la directrice de La Commune quelques vidéos et se demande comment combler ce fossé béant qui les sépare, lui et les amis de son quartier, du théâtre. Avec les artistes associés de La Commune, celle que Güven appelle au choix « Marie Jojo », « Marie Janus » ou « Marie Job » décide alors de le mettre en scène, dans un spectacle qui portera son nom, dont chaque artiste associé prendra en charge une partie.
Et voilà Güven présenté à la Commune, puis dans le Off d’Avignon, avant de revenir à La Commune en octobre prochain. Güven Tugla y est seul, ou presque, sur scène. Le spectacle commence avec Güven Antoine, conçu avec Maxime Kurvers. Dans un mode proche du stand up, le jeune homme parle de lui, de son parcours, de son désir d’être comédien, et finit dans la grosse Audi de ses rêves sur le plateau. Lors du deuxième acte, Hercule, Güven et le bourgeois Momo dirigé par Marie-José Malis, il retraverse notamment une scène du Bourgeois Gentilhomme avec son ami Momo Bouri. Rencontre et appropriation d’une culture légitime par un gars des quartiers dans un numéro comique tout en jubilation. Troisième partie, Mon daron, préparée avec Marion Siéfert. Il y raconte une rupture amoureuse et les rapports avec son père, et le spectateur découvre que peuvent être portées sur scène d’autres univers de valeurs que ceux qui font consensus dans le milieu. Trois parties, donc, de natures différentes, sans rapport immédiat, qui construisent cependant une image du jeune homme, mettent en valeur ses qualités de comédien et travaillent sur la miscibilité de son univers avec celui du théâtre public français.
Tout n’y est pas réussi. Le spectacle est inégal, plutôt amusant et toujours surprenant. Et tout du long, se dessine la possibilité d’un autre théâtre que celui dans lequel, sans s’en apercevoir, on s’enferme. Aisance, maîtrise du rythme, du corps, jubilation intérieure à s’emparer du plateau et potentiel comique, comme le souligne Marie-José Malis, porté par une certaine mélancolie et une distance au réel, Güven fait effectivement montre d’un véritable talent d’acteur et porte pour une première expérience pro un spectacle de plus d’une heure et demie sur ses épaules, mais l’essentiel n’est peut-être pas là. En tout cas, il est aussi dans le fait d’amener sur scène une Audi, fantasme de Güven bien éloigné de l’univers théâtreux. Dans le récit de ses relations filiales, qui font montre de son respect pour un ordre patriarcal bien établi. Dans une parole libre, authentique, différente, que les trois metteurs en scène ont laissé se développer – ils ont avant tout travaillé à partir des improvisations de l’acteur – dans un geste d’effacement discret, que symbolise Marie-José Malis, qui par moments assiste Güven sur le plateau. Renversements hiérarchiques et ouverture à d’autres horizons saisis par un langage théâtral différent sans être tout à fait autre, Güven ouvre les fenêtres du théâtre public français parce qu’y est pensée bien autrement cette fameuse démocratisation de la culture à laquelle derrière les mots beaucoup ont, au fond, renoncé.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Pièce d’actualité n°16 : Güven
Mise en scène Maxime Kurvers, Marie-José Malis, Marion Siéfert
Avec Momo Bouri, Güven Tugla
Création lumière Jessy Ducatillon
Création son Géraldine Dudouet
Habillage Agathe LaemmelGüven Antoine
Conception et mise en scène Maxime Kurvers
Récit improvisé Güven Tugla
Musique Teni
Remerciements Rodrigo GarciaHercule, Güven et Le Bourgeois Momo
Dramaturgie, mise en scène Momo Bouri, Marie-José Malis, Güven Tugla
Avec Momo Bouri, Marie-José Malis, Güven Tugla
Costumes Valentine Solé
Musique INTRIGUE Call of the heartMon daron
Texte, conception et mise en scène Marion Siéfert
d’après le récit et les improvisations de Güven Tugla
Assistante à la mise en scène Mathilde Chadeau
Création lumière David Pasquier
Costumes Valentine SoléProduction La Commune CDN d’Aubervilliers
Durée : 1h45
La Commune, Aubervilliers
du 5 au 15 octobre 2022Les 23 et 24 Novembre
Points Communs à Cergy
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