En première française au festival FARaway à Reims, Gus van Sant présente Trouble, une pièce musicale à la fois séduisante mais un peu lisse et légère sur l’ascension new-yorkaise du jeune Andy Warhol.
Inspiré par la vie et l’œuvre du pape du pop art, l’un des plus grands maîtres de la scène théâtrale internationale, le Polonais Krystian Lupa, avait déjà propulser Andy Warhol sur les planches dans une captivante et éprouvante pièce, longue de presque huit heures, où le public contemplait comme en immersion totale la force d’expérimentation et de subversion de l’artiste au travail dans sa Factory, le célèbre atelier-loft ouvert sur la 47e Rue, dans l’East Side de Manhattan, temple abrasif de l’avant-garde underground.
Pour sa toute première réalisation au théâtre, le cinéaste Gus van Sant s’empare à son tour de la figure emblématique d’Andy Warhol, dans un spectacle cette fois nettement placé sous le signe du divertissement, beaucoup plus court, plus pop aussi. Palme d’or à Cannes pour le film Elephant, Van Sant fait ses premiers pas de metteur en scène et saisit l’occasion de revenir à son vieux rêve de faire un film sur Warhol. Le projet cinématographique n’avait pu voir le jour à la mort de l’acteur River Phoenix pensé pour le rôle, le voici transposé au théâtre plusieurs décennies plus tard. Van sant renoue aussi avec un de ses sujets de prédilection : la jeunesse dont il magnifie le magnétisme, l’ambivalence.
Après s’être intéressé à des figures aussi légendaires que celles du chanteur rock Kurt Cobain ou du leader politique Harvey Milk à qui il a consacré des biopics très personnels, Van Sant donne enfin corps et voix, sur scène, à un Warhol plus ou moins fantasmé. Celui-ci apparaît sous l’aspect juvénile d’un adolescente angélique à la fois un peu paumé et franchement déterminé, priant à genoux la Sainte-Vierge pour devenir un artiste glorieux et célébré. Plus tard, il enfile le costume de l’icône naissante, en blouson et bottines de cuir, lunettes noires et perruque peroxydée, lui donnant la fière allure d’un éternel dandy.
Autour du lui, sont esquissés quelques personnages-stars comme Truman Capote, truculent en pyjama satiné au sortir du lit où il a passé la nuit avec un minet, Gerard Malanga, l’assistant de Warhol, sa muse, Edie Sedgwick, enfin, l’actrice Valerie Solanas, signataire du script féministe Up Your Ass que Warhol n’a pas porté à l’écran, raison pour laquelle elle a tenté de l’assassiner.
Gus van Sant fait pénétrer dans le clinquant milieu de l’art contemporain new-yorkais des années 1960 qu’il dépeint non sans une certaine fascination mais aussi sur un ton satirique, un peu badin et vain. Son décor essentiellement blanc renvoie d’ailleurs aux vastes salles d’exposition où se confrontent les commentaires dédaigneux à l’enthousiasme pour la nouveauté des nombreux collectionneurs. Ces murs sont aussi ceux de l’atelier où vit et travaille Warhol maniant le pinceau, la caméra et le polaroid. Warhol y sérigraphie les 32 boîtes de soupe Campbell qu’il présentera en 1962 à la Ferus Gallery de Los Angeles puis signe les portraits de personnalités aux formats démesurés dont celui du plus important et vachard critique d’art Clement Greenberg.
Si Warhol n’a jamais caché son attirance obsessionnelle pour le glamour, Gus Van Sant le talonne délibérément sur cette voie. A défaut d’un point de vue fouillé et complexe sur l’artiste, il met en lumière une personnalité aussi attirante que secrète et désinvolte en pleine construction de son propre mythe. Un peu superficiel dans son propos, Trouble reste malignement mâtiné d’une indéniable séduction en se voulant fidèle à l’univers warholien avec sa saturation de couleurs acidulées qui tendent parfois vers une certaine crudité, ce à quoi s’ajoute une touche assumée d’entertainment que n’aurait sans doute pas renié son inspirateur. Avec une belle fraîcheur, une toute jeune équipe de comédiens portugais joue la comédie, chante et danse, se montre bien à l’aise dans des scènes fantaisistes comme dans les moments plus tendres et mélancoliques. Au-delà du glamour et de la jubilation exhibés, on n’attendrait sans doute plus de transgression, de créativité, de radicalité, une audace et une énergie plus débridées pour rendre compte de la folie warholienne.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Trouble
TEXTE, MISE EN SCÈNE Gus Van SantAVEC
Carolina Amaral,
Diogo Fernandes,
Francisco Monteiro,
Helena Caldeira,
João Gouveia,
Lucas Dutra,
Martim Martins,
Miguel Amorim,
Valdemar BritoMUSIQUE, PAROLES
Gus Van SantCOLLABORATION ARTISTIQUE, DRAMATURGIE
John RomãoDIRECTION MUSICALE
Paulo Furtado / The Legendary TigermanDIRECTION VOCALE
João HenriquesSCÉNOGRAPHIE
José CapelaLUMIÈRES
Rui MonteiroSON
João NevesDIRECTION TECHNIQUE
Gi CarvalhoPRODUCTION EXÉCUTIVE
Francisca AiresSpectacle créé en septembre 2021 au Teatro Nacional D. Maria II (Portugal) dans le cadre de la biennale BoCA 2021. Production BoCA (Lisbon). Coproduction National Theatre D. Maria II, deSingel, Festival Romaeuropa, Onassis Foundation, Kampnagel, Comédie – CDN de Reims, Teatro Calderón. © photo : Gus Van Sant
Vu à La Comédie de Reims dans le cadre du festival FARAWAY
les 4 et 5 février 2022
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