Quand Jeanne Cherhal entonne au début du spectacle un chant des Balkans avec une voix de tête, éraillée, poussive, on frémit d’inquiétude. Dans quel traquenard Frédéric Verrières et Guillaume Vincent vont-t-ils nous entrainer ? Déjà qu’ils ont habillé le Théâtre des Bouffes du Nord d’un énorme rideau de scène bleu nuit, nous empêchant de voir la beauté légendaire des murs du théâtre ! Dans une obscurité profonde, Jeanne Cherhal a allumé un énorme chandelier qui monte dans les cintres. Puis arrive le baryton, Jean-Bastien Bou. Il répond d’une voix mieux armée à la chanteuse pop, puis une folle débarque du fond de la salle, côté jardin et passe derrière le rideau. Dès lors tout va s’enchainer dans la plus grande hystérie. The second woman est un opéra dans un opéra. La folle revient sur scène. Elisabeth Calleo est la vraie chanteuse. Jeanne n’était là que pour assurer la jointure. Le metteur en scène, Philippe Smith arrive pour mettre de l’ordre, et tenter de reprendre la main sur sa répétition. Peine perdue, la diva n’en fait qu’à sa tête ! On bascule dans la comédie, franchement drôle, teintée de dérision à l’encontre du petit monde de l’opéra. « L’opéra dans l’opéra, est un dispositif parfaitement similaire à celui de mon propre processus de création, explique Frédéric Verrières. Je savais donc que le seul sujet possible d’un premier opéra était le monde de l’opéra lui-même, de même que l’unique matériau de ma musique provient d’une musique déjà composée par un autre et que j’explore par anamorphose, par agrandissement progressif».
Dans The second woman – titre de la pièce que joue Gena Rowlands dans Opening Night de John Cassavetes – il y a ce regard sur le processus de création de l’Opéra, et un énorme travail de reconstruction de la musique. Frédéric Verrières est allé puiser dans toutes sortes d’œuvres lyriques, de Haendel à Verdi, en passant par les chants traditionnels, et les rythmiques plus actuelles comme la techno. « Le théâtre lyrique offre une merveilleuse liberté de ton et de langage impossible à obtenir au concert qui exige une cohérence toute musicale. » Et cette liberté est jouissive, l’on suit le processus de création jusqu’à la représentation finale. Jeanne Cherhal peut se lâcher dans une interprétation d’une chanson sur une biche et un loup, s’essayant à chanter façon Véronique Sanson ou Britney Spears…
Guillaume Vincent, metteur en scène associé à la Comédie de Reims, déjà remarqué pour ses Fassbinder et son Eveil du Printemps, a construit une mise en scène qui combine les surprises (les rideaux de scène ne résistent pas à la folie de l’américaine Elisabeth Calleo) et les très beaux moments chantés. Car outre l’Opéra dans l’Opéra, The second woman raconte l’histoire d’une cantatrice hantée par la mémoire de sa sœur disparue (interprétée par Marie-Eve Munger). Les duos entre les deux chanteuses sont magnifiques. L’Ensemble Court-circuit dirigé par Jean Deroyer montre de belles ressources musicales, et va puiser de l’énergie dans toutes les parties avec percussion. Confiné en fond de scène, il n’apparaît qu’à la toute fin du spectacle, mais le dispositif scénique permet aux spectateurs de regarder le chef diriger la partition sur des écrans vidéo. Il nous tient en haleine malgré un petit passage à vide dans le livret qui commence un peu à tourner en rond vers la fin.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
THE SECOND WOMAN
création
mise en scène Guillaume Vincent
musique Frédéric Verrières
livret Bastien Gallet
avec :
Jean-Yves Aiziz le pianiste et répétiteur
Jean-Sébastien Bou le baryton
Elizabeth Calleo la cantatrice
Jeanne Cherhal la chanteuse
Jean Deroyer le chef d’orchestre
Marie- Eve Munger la colorature
Philippe Smith le metteur en scène
et l’Ensemble Court- circuit
direction musicale Jean Deroyer
dramaturgie Marion Stoufflet
scénographie James Br andily
lumières Sébastien Michaud
costumes Fanny Brouste
musique électronique Olivier Pasquet
livret en français et anglais, spectacle surtitré
production : C.I.C.T. / Théâtre des Bouffes du Nord
coproduction : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Ensemble Court-circuit ; Opéra de Reims ; Comédie de Reims ; La Muse en circuit –
Centre International de création musicale – en association avec le festival Extension ; avec l’aide à la production d’Arcadi et le soutien du Fonds de création lyrique SACD
Durée : 1h40
DU MARDI 26 AVRIL AU VENDREDI 13 MAI 2011
du mardi au samedi à 21h00
relâches les dimanches, lundis, jeudi 28 avril, jeudi 5 mai et mercredi 11 mai
30 novembre au 1er décembre 2011 : Les Théâtres de la ville de Luxembourg
9 mars 2012 : Espace Jules Verne, Brétigny sur Orge
13 mars 2012 : Opéra de Reims, en co-réalisation avec la Comédie de Reims
15 et 16 mars 2012 : Théâtre de Caen
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