Dirigé par Benoit Lavigne, l’acteur Benjamin Voisin, star montante du cinéma, fait ses premiers pas au théâtre dans Guerre de Louis-Ferdinand Céline, un texte dense et dru qu’il irradie de jeunesse et de vitalité.
Dans l’atmosphère crépusculaire et orageuse que strie un horizon rougeoyant, les coups de tonnerre s’amalgament à ceux de la mitraille. Droit dans ses bottes et son uniforme, un jeune homme tombe et gît sur le sol terreux, puis se réveille au milieu des cadavres et de la boue d’obus. C’est sur ce tableau visuel et sonore que s’ouvre Guerre dans l’adaptation théâtrale présentée au Théâtre du Chêne Noir, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, avant d’atterrir, à la rentrée, au Théâtre du Petit Saint-Martin à Paris.
« J’ai appris à faire de la belle littérature avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais », énonce d’une voix éraillée le soldat rescapé, mais totalement hanté par la guerre. Ces mots sont extraits de l’incipit du court et fulgurant roman de Céline dont le manuscrit, qui est le fruit d’un premier jet, a été récemment retrouvé dans une liasse de deux cent cinquante feuillets, puis édité dans la foulée, près de quatre-vingt-dix ans après sa rédaction. L’auteur de Voyage au bout de la nuit (1932) y reconvoque la figure de Ferdinand, son double romanesque, transféré du front et en convalescence. Les pages de ce récit inédit transpirent des atrocités de la guerre, du traumatisme physique et moral qu’elle génère. Elles sont aussi largement empreintes d’un brûlant sursaut vital. Celui de son jeune personnage à qui on pourrait attribuer cette phrase écrite par Stendhal au sujet de Fabrice lancé sur le champ de bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme : « Notre héros était fort peu héros ». Pourtant, il respire la vie qui voudrait renaître, un appétit féroce, une ardeur désirante et dévorante qui, chez Céline, s’exacerbent dans une géniale inventivité littéraire et langagière qui appelle nécessairement le plateau de théâtre.
Connu pour ses prestations, à juste titre, fort remarquées devant les caméras de Ozon, Téchiné, ou Giannoli pour qui il a interprété le rôle balzacien de Lucien de Rubempré dans Illusions perdues, Benjamin Voisin s’empare de cette riche matière textuelle et la restitue avec une aisance hallucinante. Silhouette rimbaldienne, tempérament de feu, l’acteur exalte une vigueur lumineuse au cours de son long monologue en campant à la fois le jeune soldat, mais aussi toute une galerie de personnages qui l’accompagnent, comme son camarade Cascade, ainsi que l’épouse de ce dernier, la prostituée Angèle, et Mademoiselle L’Espinasse, l’infirmière entreprenante qui l’assiste à son chevet. L’une et l’autre lui inspirent une lubricité décomplexée décrite non sans verve par Céline.
La mise en scène d’inspiration picturale propose une belle esthétique qui se présente comme un véritable contrepoint à l’écriture crue et radicale du romancier. L’inconvenance et la trivialité sont davantage et parfaitement assumées par le jeu d’acteur, plein de ruptures et de reliefs, de chair et d’esprit qui, dans ce contexte profondément tragique, ne délaisse pas une part d’humour prosaïque et sarcastique, notamment dans la chronique faite de l’affligeante province flamande où Ferdinand est transféré. C’est donc d’une interprétation chauffée à blanc et sans aucune baisse de régime que bénéficie Guerre, porté pour la toute première fois sur les planches.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Guerre
de Louis-Ferdinand Céline
Adaptation Bérangère Gallot et Benoît Lavigne
Mise en scène Benoît Lavigne
Avec Benjamin Voisin
Collaboration Artistique, chorégraphie Sophie Mayer
Scénographie, lumières Seymour Laval
Peintre décor Fanny Gamet et Caroline Oriot
Musiques Raphaël Chambouvet
Costumes Isabelle DeffinProduction Arnaud Bertrand 984 Produc@ons
Co-production Atelier Théâtre ActuelDurée : 1h20
Vu en juillet 2023 au Théâtre du Chêne Noir, dans le cadre Festival Off d’Avignon
Théâtre de l’Oeuvre, Paris
du 8 janvier au 2 mars 2025
Du mercredi au samedi à 19h, les dimanches à 15h30
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