D’où vient la révolte ? Comment passe-t-on à l’acte ? Grès (tentative de sédimentation) suit la trajectoire d’un vigile de supermarché qui rejoint les gilets jaunes. Un texte percutant de Guillaume Cayet, dont l’intérêt littéraire croise le sociologique, Manumatte et Valentin Durup le portant dans une forme brute et musicale pleine d’impact.
Il n’a que 33 ans mais déjà une vingtaine de pièces à son actif. On l’avait découvert dans un sujet à vif d’Avignon racontant la bascule vers l’extrême droite d’un travailleur social (Jeune mort). Voilà que Guillaume Cayet donne la parole dans Grès (tentative de sédimentation) à un vigile qui rejoint les gilets jaunes. En commun dans les deux textes : l’univers figé de villes périphériques en proie à la désindustrialisation, aux délocalisations, à la crise économique et sociale d’un pays qui se fragmente. Notre homme pour autant n’y est pas le plus mal loti. Il passe des caméras de surveillance à choper les plus pauvres que lui au bar de chez Mado, avant de traverser quelques rond-points pour rejoindre son chez lui, ses enfants et sa « moitié ». Elle bosse dans un abattoir qui va fermer. Lui dans un supermarché en compagnie d’Aziz et Mohamed qui écoutent du Rachid Taha à longueur de journée. Des vies humbles mais pas malheureuses sur fond de lente décomposition sociale.
Sur scène, c’est Manumatte qui porte brillamment les mots de Guillaume Cayet. Silhouette trapue, visage rond et cheveux tirés en arrière qu’un subtil jeu de lumière éclaire et assombrit alternativement, il a le physique de l’emploi. Les pieds fichés dans le sol, les poings serrés face au micro, il est à la fois ancré et contenu, fragile et sûr de lui, plein de certitudes et traversé de multiples failles. Dans quelques envolées, il dira son monde qui disparaît, celui des « comme moi », celui qui posait des repères et des directions, qui ouvrait sur des bonheurs arrachés au quotidien. Le goût pour la paix dans un monde sorti de la guerre, les valeurs – l’honnêteté, le respect, une manière d’être pauvre qui n’empêchait pas d’être fier et heureux. Mais cet ordre dans lequel il s’est constitué, et qu’il doit quotidiennement contribuer à conserver, cet ordre qui profite avant tout aux riches et aux bourgeois, un jour se retourne contre lui. Ces yeux « à l’iris de béton, mélange de détermination et de misère » à quoi il reconnaît les voleurs dans ses rayons, c’est maintenant lui qui les ouvre sur le monde.
Dans Grès, Guillaume Cayet traque donc à nouveau le passage à l’acte, la bascule vers la violence des laissés pour compte. Sa peinture sociale reprend des situations plus ou moins connues et n’hésite pas à flirter avec les clichés, parce qu’ils sont aussi le produit d’une réalité avérée. Mais Cayet ne s’en contente pas. Il s’imprègne des constats sociologiques ordinaires pour mieux les dépasser via les ressorts de l’intime. Ici, c’est Aziz l’intello politisé qui ouvre la voie de la révolte à notre vigile. Mais surtout un état social qui le conduit à réaliser que « la violence n’est pas une anomalie mais le fondement même de notre système ». A l’aune d’une histoire individuelle le spectacle donne ainsi à relire ce qui fut à l’œuvre dans le mouvement protéiforme des gilets jaunes sur lequel l’auteur porte un regard singulier. Le tout dans un dispositif simple et coup de poing. Manumatte au micro, Valentin Durup à la guitare électrique et à l’accompagnement électro, devant un écran où sont projetés par moments des vidéos en noir et blanc. « Je me révolte donc nous sommes » écrivait Camus. Avec Grès, Cayet rallume l’espoir de faire groupe dans une société morcelée.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Grès (tentative de sédimentation)
écriture et mise en scène Guillaume Cayet
jeu Emmanuel Matte
musique live Valentin Durup
scénographie Salma Bordes
création lumière Juliette Romens
création vidéo Antoine Briot
costumes Cécile Box
régie Clémentine Gaud, Nicolas Hadot
production le désordre des choses
coproductions La Comédie de Clermont-Ferrand – scène nationale, La Ferme du Bonheur – Nanterre, Théâtre de Privas – scène conventionnée art et territoire, Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines – Paris, La 2deuche – espace culturel de Lempdes – scène régionale Auvergne Rhône-Alpes.
soutiens La région Auvergne-Rhône-Alpes, La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle – Villeneuve-lez-Avignon, Groupe des 20 Auvergne-Rhône-Alpes
création le 02 octobre 2021 La Passerelle (Pont-de-Menat)
dans le cadre de la tournée décentralisée de la Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale,
en coréalisation avec la Communauté de Communes Combrailles Sioule et Morge.durée estimée 1h 10
Du 7 au 25 novembre 2023
Théâtre Public de Montreuil12 décembre 2023
Théâtre de l’Agora, scène nationale de l’Essonne, Évry22 février 2023
Théâtre Maison d’Elsa, Jarny14 – 24 mai 2024
Les Célestins, Théâtre de Lyon
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