Adapté à l’opéra par le compositeur russe Alexander Raskatov et mis en scène par John Fulljames, GerMANIA d’après Heiner Müller, présenté en création mondiale à Lyon, est une œuvre lyrique certes ambitieuse mais qui dit avec une outrance dérangeante l’histoire ravagée du monde moderne.
Toute l’œuvre de Müller se présente comme une auscultation aussi lucide que pessimiste de l’histoire de l’Allemagne. Né en 1929 et installé en RDA au lendemain de la guerre, le dramaturge a vécu dans son pays deux dictatures, celle du régime nazi puis celle du communisme. Raskatov, quant à lui, est né à Moscou en 1953, l’année de la disparition de Staline et a grandit dans la société soviétique où sa famille a été persécutée. Ces artistes représentent les deux pôles d’un extrémisme politique conduisant à un exercice ravageur du pouvoir. C’est ce que dépeint la création mondiale de GerMANIA à l’Opéra de Lyon.
A partir de plusieurs textes écrits par Heiner Müller de 1956 à sa mort, l’opéra tente de restituer la pensée profondément sombre et complexe du dramaturge, non pas en suivant une progression narrative mais en faisant se succéder dix tableaux brefs au cœur desquels s’affrontent les deux plus grands monstres de l’histoire contemporaine : Hitler et Staline. Leur typologie vocale est en tout point signifiante. Le Führer est confié à un ténor « bouffe hystérique », James Kryshak dont les suraigus redoutablement perçants mettent en relief le caractère hypernerveux et névrosé du personnage, le chef-d’état bolchevique est confié à une basse octaviste, Gennadii Bezzubenkov, aux graves profonds et graillonneux. Leur chant se confond âprement au cri, au gémissement, au halètement, au raclement, au borborygme dans une composition musicale abrupte et grinçante des plus inconfortables. L’orchestre gronde un magma de sons denses et lugubres où se laissent entendre quelques réminiscences des musiques jazz ou militaires de l’époque dans un chaos suffocant de tonalités métalliques et de coups percussifs qui disent la violence et l’oppression.
L’écriture musicale hyperbolique est redoublée d’un traitement scénique démonstratif jusqu’à la complaisance. La mise en scène illustrative ne s’embarrasse pas de bon goût. Le théâtre de Müller porte les stigmates des bouleversements du temps, des ruines du monde, mais il n’est pas un théâtre du réalisme, de la figuration. Ici, trop de monstration, de matérialité, de trivialité, de caricature pèse et parait bien superflu. La gestuelle marionnettique des personnages dessinés à gros traits en rajoute encore comme l’absence totale d’esthétisme. Le décor unique est une grande fosse commune sur tournette où la terre (suggérée par l’amoncellement de bouts de tissus couleur argile) vomit ses morts. Partout, des cadavres exhumés, la peau boueuse, maculée, suintante, sanglante. La représentation figée dans l’horreur confine au ridicule à cause de grandiloquence grotesque, déjà partiellement contenue dans la partition qui mêle humour et noirceur. Seule la scène finale nommée « Auschwitz Requiem » est une vibrante prière qui suscite une vive émotion.
En dépit du manque crucial de retenue, la nouvelle commande de l’Opéra de Lyon force une admiration inconditionnelle pour ses nombreux interprètes. La rigueur et l’éclat de l’orchestre sous la baguette du chef argentin Alejo Perez qui parvient à ménager une lisibilité et un équilibre constant entre les forces en présence, le total engagement vocale et scénique des chanteurs, font très grande impression.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
GerMANIA
Direction musicale
Alejo PérezMise en scène
John FulljamesDécors
Magda WilliLumières
Carsten SanderVidéo
Will DukeTénor
Michael GniffkeBaryton
Ville RusanenContre-ténor
Andrew WattsBaryton-basse
Piotr MicinskiBasse
Gennadii BezzubenkovSoprano
Sophie DesmarsSoprano
Elena VassilievaAlto
Mairam SokolovaTénor
Karl LaquitTénor
James KryshakOrchestre, Chœurs et Studio de l’Opéra de Lyon
Durée : 1h40
Opéra de Lyon
Du 29/05/18
au 04/06/18
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