Le comédien et metteur en scène Gérard Potier adapte, met en scène et interprète Une vie de Gérard en Occident de François Beaune. Un témoignage de la France rurale des années 70 à aujourd’hui, qui peine à trouver sa place sur un plateau.
François Beaune a le goût des anonymes étranges, décalés. En France comme ailleurs, il aime aller à leur rencontre et les écouter. Depuis son premier livre, Un homme louche (Verticales, 2009), il se fixé pour mission de garder une trace de leurs vécus en marge de l’Histoire. Mêlant de la fiction aux témoignages recueillis, il fait par exemple un héros d’un misanthrope qui passe ses livres au micro-onde et qui usurpe l’identité des clients d’un lavomatic. Dans La lune dans le puits (Verticales, 2013), il rassemble les histoires vraies collectées autour du bassin méditerranéen en une insolite odyssée de notre temps… Publié en 2017, Une vie de Gérard en Occident est le fruit d’une démarche similaire. Dans ce roman que Gérard Potier adapte, met en scène et interprète aujourd’hui lui-même au Théâtre de Belleville, un certain Gérard Airaudeau raconte sa vie d’ouvrier de campagne qu’il a entièrement passée à Saint-Jean-des-Oies, une bourgade imaginaire de Vendée.
Dans le livre, Gérard s’adresse à un certain Aman, un réfugié érythréen arrivé depuis peu à Saint-Jean-des-Oies, dont la plupart des habitants se connaissent depuis toujours. Cet interlocuteur disparaît entièrement dans l’adaptation scénique de Gérard Potier, qui avait déjà accompagné François Beaune dans l’écriture de son roman. « Il y a eu une première version du roman, que je me suis empressé de faire lire à Gérard Potier, comme nous avions sympathisé à la Roche-sur-Yon. Lui, le fils de paysan vendéen, connaissait intimement les histoires et la langue que je lui rapportais. Il m’a lu le manuscrit, il a commencé à apprendre des scènes, à m’en jouer, je l’écoutais, je redécouvrais mon texte, je me suis remis au travail, un autre roman est apparu, lié aussi à ce travail d’oralité », dit l’auteur dans le dossier de presse du spectacle. En lieu et place d’Aman, c’est au public que le comédien adresse de manière frontale le monologue de Gérard Airaudeau, inspiré à François Beaune par une personne réelle. Non pas un Gérard, mais un Bernard.
L’adresse apparaît d’emblée artificielle. Gérard Airaudeau étant sensé se trouver dans la salle des fêtes de Saint-Jean-des-Oies, dans l’attente d’une députée désireuse de rencontrer « des vrais gens », son homonyme tente de lui donner une expression naturelle. Il feint l’improvisation. Efforts vains, car en parlant aux spectateurs, l’artiste adopte forcément des codes de jeu qui n’ont rien à faire dans la bouche ni dans le corps d’un ouvrier de campagne. L’attente de la députée est en plus comme un prétexte trop faible pour justifier le long monologue de Gérard l’ouvrier, dont les relations avec Gérard le comédien et conteur auraient pu nourrir la pièce. Pourquoi appeler Bernard Gérard, si l’ambiguïté entre interprète et personnage n’est pas développée ? L’adresse y aurait sans doute gagné en justesse. Et la pièce aurait eu davantage de chances de s’élever au-delà des bons sentiments qui, en l’état, affaiblissent la parole de Gérard Airaudeau, dont les anecdotes en cascade auraient pu offrir une riche traversée de l’Histoire de France depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui.
En choisissant d’incarner l’ouvrier, Gérard Potier invisibilise le travail de François Beaune, qui consiste à aller vers ceux dont les paroles ne sont habituellement pas audibles. Sans cacher la distance qui le sépare de ces sujets. Faute de questionner l’endroit d’où il parle, le comédien et metteur en scène fait malgré lui peser sur son geste un soupçon de mépris de classe, qui aurait été facilement dissipé s’il avait mis en avant ses affinités, sa proximité avec son personnage, et ses différences. On aurait alors plus facilement goûté les aventures souvent truculentes de cet homme et de son entourage. D’autant plus qu’en jouant sur sa distance et ses ressemblances avec le protagoniste de François Beaune, il aurait sans doute pu occuper l’espace autrement qu’en bricolant à l’infini les paquets de chips et les verres en carton destinés à l’apéro qui n’aura finalement jamais lieu.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Une vie de Gérard
Interprétation & mise en scène Gérard Potier
Collaboration artistique Gérard Baraton
Texte François Beaune
Création lumière Éric Seldubuisson
Création sonore Marine Iger
Chargé de production Julien BlanchardProduction Théâtre de Belleville et Le Bazar Mythique
Partenaires Le Moulin du Roc – Scène Nationale de Niort, Le Grand R – Scène Nationale de La Roche sur Yon, Centre de Production des Paroles Contemporaines (Théâtre de l’Aire Libre & Festival Mythos), St Jacques de la Lande, Ville des Sables d’Olonne, Maison des Arts – Festival au Village (Brioux sur Boutonne) Ville de Cesson Sévigné, Ville de LiffréAide à la création Ville de La Roche-sur-Yon, Conseil Départemental de la Vendée, Région des Pays de la Loire
À partir de 14 ans
Durée • 1h10
Théâtre de Belleville
08/07 > 27/09
Mer > 19h30
Jeu > 19h30
Ven > 19h30
Sam > 19h30
Dim > 17h
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