L’artiste, musicienne et chorégraphe Samar Haddad King signe un spectacle envoûtant sur la condition palestinienne, en imaginant un rituel qui mêle la vie et la mort.
C’est une pièce qui débute hors de la salle, à la tombée de la nuit. Dans le hall du Théâtre national de Bordeaux Aquitaine, un homme alpague le public, virevoltant de spectateur en spectatrice, pour faire part de la bonne nouvelle : un village s’apprête à célébrer le mariage de deux jeunes gens, et nous y sommes naturellement conviés. L’heure est à la fête. On y entend des cris de joie, on y découvre des visages éclairés par la gaieté. La scène se déroule en Palestine, c’est-à-dire nulle part, ou plutôt dans un hameau assiégé. Pour l’instant, c’est la vie qui l’emporte. Au seuil de la salle, il faut enlever ses chaussures. Une montagne d’oranges git sur le plateau pour signifier que la cérémonie est avant tout un moment de partage et de retrouvailles – Gathering, en français, se traduit par « rassemblement ». C’est ainsi, en tous cas, que le conçoit Samar Haddad King, l’artiste américano-palestinienne, qui a créé ce spectacle à New York en 2024, et le présente pour la première fois en France, au Festival International des Arts de Bordeaux Métropole (FAB).
Un pedigree international, reflété par l’origine des quatorze interprètes, venus du Japon, de Palestine, du Danemark, des États-Unis, de Taïwan et de Turquie – au sein de la distribution, on reconnaîtra d’ailleurs Samaa Wakim, avec qui Samar Haddad King avait créé le beau Losing it au FAB en 2024. En guise d’accessoire, une échelle, manipulée par les artistes, évoque tantôt un lien vers l’ailleurs, la liberté, l’amour, tantôt la frontière de l’enclave gazaouie, quand celle-ci est portée de façon horizontale, mais elle ne sera jamais nommée. Il y a donc cette femme et cet homme, pour qui l’on danse, pour qui l’on chante, pour qui l’on s’embrasse, pour qui certains spectateurs et spectatrices seront amenés à rejoindre les interprètes au plateau. On parle en anglais, surtout ; on psalmodie en arabe ; on s’explique en français, parfois. On évoque la figure d’une autruche, puis d’un bébé et de l’angoisse suscitée par la petite enfance. Le lien avec le rituel proposé sur scène demeure un peu flou, mais pourquoi pas.
Bien qu’un brin approximatives, les chorégraphies séduisent par l’entrain des artistes. D’abord déconcertante, l’omniprésence des Quatre Saisons de Vivaldi, revisité par Max Richter, finit par devenir entêtante. L’alchimie entre les interprètes, en dépit d’une distribution artificielle sur le papier – genre United Colors of Benetton –, fonctionne, et fait plaisir à voir. Mais la vraie réussite de ces retrouvailles tient à l’ubiquité d’une inquiétude et d’un trauma sans cesse réactivé qui menacent l’ensemble, et c’est justement cette fragilité qui émeut. De fugaces images de cadavres et de charniers viennent hanter les scènes de liesse. Est-ce que ces jeunes gens survivront à la nuit ? Est-ce que ce bébé esquissé au cœur du spectacle verra vraiment le jour ? Est-ce que ce mariage ne serait pas, au fond, que le fantasme d’une Palestinienne en exil ? Ainsi, nous découvrons comment, parfois, certains doivent faire cohabiter la vie et la mort, le rêve et la vérité, le désir et la réalité d’une extinction annoncée.
Igor Hansen-Løve — www. sceneweb.fr
Gathering
Conception, texte et direction Samar Haddad King
Création Yaa Samar ! Dance Theatre
Avec Samaa Wakim, Mehdi Dahkan, Adan Azzam, Nadim Bahsoun, Charles Brecard, Dounia Dolbec, Yukari Osaka, Zoé Rabinowitz, Arzu Salman, Natalie Salsa, Yousef Sbieh, Enrico Dau Yang Wey, Ash Winkfield, Mohammed Fouad
Chorégraphie Samar Haddad King, en collaboration avec les perfomeur·euses.
Dramaturgie Enrico Dau Yang Wey
Assistante à la mise en scène Stéphanie Sutherland
Direction des répétitions Zoe Rabinowitz
Création lumière Muaz Aljubeh
Musique Recomposed by Max Richter : Vivaldi, the Four Seasons
Musique originale Samar Haddad King
Création costumes et décor Nancy MkaabalProduction Au Contraire Productions ; Yaa Samar! Dance Theatre
Coproduction Carré-Colonnes – Scène nationale Bordeaux Métropole, FAB Bordeaux, Scène nationale du Sud-Aquitain, Théâtre d’Angoulême – Scène nationale, Scène nationale Brive-Tulle, La Coursive – Scène nationale, Scène Nationale d’Aubusson, Le Moulin du Roc – Scène nationale, TAP – Scène nationale de Grand Poitiers
Avec le soutien de l’ONDA et du ministère de la Culture dans le cadre du plan Mieux produire Mieux diffuser.
Ce projet est soutenu en partie par Mid Atlantic Arts et est présenté avec le soutien d’Ettijahat – Independent Culture, ainsi que de F.U.S.E.D., un programme de la Villa Albertine et de la Fondation Albertine
Avec le soutien en résidence de création du Grand Jeu : Espace de recherche artistique, création, expérimentation, en pleine natureDurée : 1h20
Vu en octobre 2025 au TnBA, Théâtre national Bordeaux Aquitaine, dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole (FAB)
Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
le 14 octobreL’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle
les 14 et 15 novembreThéâtre d’Angoulême, Scène nationale
le 18 novembreTAP, Scène nationale de Grand Poitiers
le 20 novembreLe Moulin du Roc, Scène nationale, Niort
le 22 novembreLa Coursive, Scène nationale de La Rochelle
le 25 novembreThéâtre Jean Lurçat, Scène nationale d’Aubusson
le 27 novembre
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