Le chorégraphe israélien Hofesh Shechter déploie un portrait de l’Angleterre pleine de contrastes, où la liesse cohabite avec l’horreur dans un mélange difficile à suivre, mais convaincant dans la virtuosité et la théâtralité de la danse.
Six interprètes se tiennent face à nous, en uniforme british : écusson, cravate rayée et chemise blanche. Une lumière douce se dépose sur eux, théâtrale et intime. On connaît pourtant Hofesh Shechter pour son énergie communicative, son aura rock (il a d’ailleurs été batteur dans un groupe) et ses gestes aux accents amples et percutants. Dans From England with Love, s’illustre la compagnie Hofesh Shechter II, programme de promotion de jeunes danseurs contemporains lancé en 2018. Il regroupe huit danseuses et danseurs entre 18 et 25 ans castés à l’international pour cette dernière création. Cette jolie troupe embrasse avec fluidité l’écriture de Shechter, qui se révèle théâtrale.
On connaissait le chorégraphe pour ses mouvements bruts de décoffrage, parfois un peu rêches (il ne faut pas oublier qu’il a dansé pour le Belge Wim Vandekeybus). Sa danse dégage une forme de vibration, peut-être celle des corps poussés au bout du mouvement et des émotions. Hofesh Shechter sait aussi être pop, on l’a vu dans le récent Contemporary Dance 2.0 (2022), qui aurait pu être un clip musical. Mais cette théâtralité, présente dans From England with Love, on ne l’avait pas encore vue de manière aussi franche et presque narrative.
D’abord propres sur eux, les interprètes se débraillent peu à peu, au fil des bribes festives tantôt énergiques, tantôt lascives qui se déploient au fur et à mesure. Ils tirent le portrait de la jeunesse anglaise à travers une suite de tableaux où l’exultation côtoie l’atrocité. Tour à tour poli, punk, rock, ce From England with Love abrite des scènes de battles, mais aussi de bagarre, de fusillade (mimée par les danseurs, bien campés sur leurs pieds), de cannibalisme (faisant semblant de dévorer des entrailles, à genoux). Les espaces de ces scènes, de groupe, en duo ou en trio, sont délimitées par les lumières de Tom Vissier (qui œuvre aussi pour la canadienne Crystal Pite), qui créent des espaces sur la scène où les contradictions de l’Angleterre se révèlent. Un écrin pictural presque sacré, renforcé par les notes baroques d’Henry Purcell et la musiques aux accents religieux de Tomas Talis.
Souvenirs des Swinging Sixties ? Réminiscences du massacre de Plymouth ? Tableau d’une Angleterre post Brexit ? Tout semble un peu mélangé dans cette pièce, comme si une partie de l’Histoire de l’Angleterre avait été passée au mixeur. Toutefois, From England with Love frappe par sa virtuosité chorégraphique, l’engagement de ses interprètes qui habitent les mouvements et les imaginaires de cette pièce jusqu’au bout, dans une énergie puissante, où la fluidité qui lie les gestes larges est constellée de ruptures vives. Sur la même route que Crystal Pite dans son dernier Assembly Hall, il dévoile une danse théâtrale, léchée, pop aux gestes virtuoses, de plus en plus présente en France ?
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
From England with Love
Avec Holly Brennan, Yun-chi Mai, Eloy Cojal Mestre, Matthea Lára Pedersen, Piers Sanders, Rowan Van Sen, Gaetano Signorelli, Toon Theunissen
Lumière : Tom Visser
Costumes : Hofesh Shechter
Musiques additionnelles : English compositions by Edward Elgar, Tomas Talis, Henry Purcell & William
H. MonkProduction : Hofesh Shechter Company
Coproduction : Château Rouge – Scène conventionnée d’Annemasse / Espace 1789 Saint-Ouen – Scène conventionnée danse / Düsseldorf Festival! / Escales Danse
Soutien : Théâtre de la Ville Paris / Teatri Reggio Emilia
Résidence de production : DanceEast, IpswichDurée : 1h
Vu lors de la première française à Château Rouge – Scène conventionnée d’Annemasse en juin 2024
Théâtre de la Ville – Les Abbesses, Paris
du 8 au 18 janvier 2025
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