Après Convulsions d’Hakim Bah, Frédéric Fisbach poursuit son travail autour d’écritures venues d’Afrique et de l’exil. Son adaptation du fameux roman de Gaël Faye sur fond de génocide rwandais, Petit Pays, déploie sur scène toute la richesse du texte au risque de perdre le spectateur.
Entre six interprètes qui s’échangent les rôles, la France, le Rwanda, le Burundi, une bande de potes à Bujumbura, une famille exilée à Kigali, une mère qui disparaît, des aller-retours dans le temps et bien d’autres circonvolutions encore, il faut s’accrocher pour suivre le fil narratif de cette adaptation du roman à succès de Gaël Faye, Petit Pays. Frédéric Fisbach, le metteur en scène, part du principe, dans le dossier de presse, que beaucoup auront déjà lu le roman ou vu le film qui en a été tiré (sorti en 2019). Sans doute Samuel Gallet pour l’adaptation du texte, a-t-il fondé cette même hypothèse. Au risque de perdre celui ou celle qui ne la remplit pas. Car en plus des sinuosités scéniques, la trame de ce roman est assez complexe. Suivant la trajectoire de Gaby, séparé de son pays d’origine par les tensions entre tutsis et hutus, Petit pays croise en effet quête identitaire individuelle, petite histoire de famille et grande Histoire des conflits entre Tutsis et Hutus, ainsi qu’autobiographie et roman à travers la deuxième moitié du siècle dernier. De 1962, quand la famille tutsie de Gaby fuit le Rwanda pour s’installer au Burundi à l’après génocide, dont l’onde de choc traversera la frontière, le spectateur parcourt ainsi à hauteur du jeune homme l’histoire d’une rivalité ethnique qui trempe ses racines dans l’histoire coloniale.
Autour d’un grand tapis vert de laine qui occupe le centre du plateau, parsemé de petites mottes aux pentes douces qui évoquent bien sûr le pays aux mille collines, l’autre nom du Rwanda, les six interprètes interchangent donc les rôles d’une histoire dont une grande partie est adressée à la mère de Gaby. Celle-ci se marie à un français venu du Jura, duquel elle aura deux enfants. Déchirement identitaire originel, que le cours de l’Histoire ne fera qu’aggraver, et que Gaby reçoit en héritage. Peinant à savoir s’il est rwandais ou français, forcé de prendre parti entre hutus et tutsis, en colère contre une mère qui, pour de bonnes raisons, disparaît, Gaby multiplie ainsi les déchirures personnelles qui font écho à celles de son pays d’origine. Mêlant les âges et les couleurs au plateau, les timbres, et les accents différents, et dans une interprétation qui oscille entre récit et action, personnages alternativement incarnés ou éclatés en choralité, Frédéric Fisbach a également fait le choix du grand mélange comme pour contrecarrer ces excès d’identité qui ont tellement assombri l’Histoire.
Quelques passages tranchent d’avec ce flottement par lequel on se laisse gentiment porter, ne sachant pas assez qui est qui, quel personnage fait quoi, les enjeux de chaque situation et les rapports entre personnages qui se déploient sous nos yeux. Lorsqu’on entre dans le récit du génocide, tout s’éclaire à nouveau et les mots de Faye résonnent alors dans toute leur justesse, aussi violents que sobres, impitoyables, crus et distillés a minima. L’histoire se comprend ensuite, rétrospectivement, mais ce récit riche, dense, la langue simple, éclairant autant le passé que les tiraillements identitaires des personnes métisses ou exilées sera longtemps resté trop flou. Au-dessus des interprètes, un néon dessinait comme une ligne de crête. Des images filmées par Fisbach au Rwanda étaient projetées tout du long sur deux écrans, comme un contrepoint à l’action du plateau, offrant alors de séduisantes lignes de fuite à notre attention.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Petit Pays
D’après le roman de Gaël Faye, texte publié aux Éditions Grasset et FasquelleConception et mise en scène Frédéric R. Fisbach
Adaptation et dramaturgie Samuel Gallet
Avec Lorry Hardel, Marie Payen, Nelson Rafaell Madel, Ibrahima Bah, Nawoile Saïd-Moulidi,
Anaïs GournayScénographie Amélie Vignals
Création lumière Kelig Le Bars
Création son Jérôme Castel
Création vidéo Julien Marrant
Costumière Jennifer Ménart
Régie Générale Carole Van Bellegem
Assistant à la mise en scène Léa Rivière
Production Ensemble Atopique II, compagnie conventionnée par la DRAC – PACA et la ville de Cannes
Coproduction Châteauvallon-Liberté – Scène nationale, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val de Marne, La Criée – Théâtre national de Marseille, l’Atrium – scène nationale de la Martinique, Théâtre Montansier/Versailles, Les Célestins – Théâtre de Lyon, GRRRANIT – Scène nationale de Belfort/France, Pôle Arts de la Scène – La Friche Belle de Mai Marseille
Partenaire diffusion MC2 Grenoble – Scène nationale, Le Cratère – scène nationale d’Alès, Le Figuier Blanc (Argenteuil), La Faïencerie (Creil)
Durée 2h
Théâtre Liberté, scène nationale de Toulon
du 8 au 10 novembre 2022Le Cratère – Scène nationale d’Alès
les 23 et 24 novembre 2022Théâtre Montansier – Versailles
du 8 au 10 décembre 2022Les Célestins – Lyon
du 4 au 8 janvier 2023MC2 – Scène nationale de Grenoble
les 11 et 12 janvier 2023Tropiques – Atrium – Scène nationale de Martinique
19 et 20 janvier 2023GRRRANIT – Scène nationale de Belfort
3 mars 2023Le Figuier Blanc – Argenteuil
7 mars 2023La Faiencerie Creil
9 et 10 mars 2023Théâtre des Quartiers d’Ivry – Centre Dramatique National
du 22 au 26 mars 2023La Criée – Centre Dramatique Nationale de Marseille
du 29 mars au 1er avril 2023
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