Le 17 mai 2017, Françoise Nyssen était nommée Ministre de la Culture par Emmanuel Macron. La directrice des éditions Actes Sud était ainsi propulsée dans le grand bain de la politique, sans expérience. Entre la polémique de l’été à Avignon avec Régine Hatchondo, l’annonce d’un plan pour lutter contre les zones blanches de la culture et l’affaire du Tarmac, retour sur les grands dossiers gérés par Françoise Nyssen.
Le premier contact de François Nyssen avec le monde du spectacle vivant, c’était le 1er juin 2017 au Printemps des Comédiens à Montpellier, elle s’adresse à Ariane Mnouchkine et Jean-Claude Carrière. Un discours convenu. Françoise Nyssen affirme être là « avant tout pour écouter », souligne l’importance du théâtre à l’école et se définit comme « un catalyseur » qui a la volonté de travailler à l’échelle du territoire pour « s’enrichir des rencontres ».
Il faut attendre le mois de juillet pour que la ministre prenne conscience de la réalité de son poste lorsqu’une vague se soulève pendant le festival d’Avignon à l’issue d’une réunion houleuse entre les directrices et directeurs des Centres Dramatiques Nationaux et Régine Hatchondo, la Directrice Générale de la Création Artistique. Une rencontre musclée qui vire au psychodrame. “Votre modèle économique est à bout de souffle !” lance Régine Hatchondo. “Quand vous me parlez d’argent, vous ne me faites pas rêver… heureusement que j’ai autre chose que vous dans ma vie.” Mépris et arrogance, les artistes sont vent debout. Ils envoient un courrier à Emmanuel Macron et à Françoise Nyssen. Le 18 juillet, Régine Hatchondo s’excuse dans un courrier et exprime ses regrets. “Je regrette le ton emporté avec lequel je me suis exprimée auprès de vous » mais le mal est fait. Pressée de laisser son siège par Françoise Nyssen, Régine Hatchondo annonce en avril qu’elle quitte ses fonctions en juin.
Le ministère a jeté de l’huile sur le feu cet hiver avec le dossier du Tarmac. Début février, un communiqué de Françoise Nyssen parvient dans la nuit et annonce brutalement l’arrêt des activités du Tarmac et la migration de Théâtre Ouvert à sa place. La ministre tente de recoller les morceaux dans les jours qui suivent en annonçant un plan pour la francophonie, totalement bricolé. Car la francophonie dans le spectacle vivant est déjà incarnée par le travail du Tarmac (et celui du Festival des Francophonies en Limousin). Le ministère s’empêtre dans ses explications. Les soutiens pleuvent de tout part. Lors d’une des nombreuses soirées de soutien, Christiane Taubira, l’ancienne Garde des Sceaux lance “On ferme un théâtre : ces quatre mots devraient suffire à nous tétaniser “.
Le plan Culture près de chez vous: un nouvel élan pour la décentralisation ?
Le 29 mars, Françoise Nyssen présente son plan « Culture près de chez vous »: 6,5 millions d’euros en 2018 avec l’objectif d’atteindre 10 millions en 2022. Il s’agit de mieux “irriguer les territoires” délaissés par la culture. Pour définir son plan, le Ministère de la culture s’appuie sur une cartographie des bassins de vie culturelle qui pointe des “zones blanches” du service public, 86 au total. Comptant moins d’un équipement culturel pour 10.000 habitants, elles sont désormais qualifiées de “territoires culturels prioritaires”. Les disparités financières sont importantes : le ministère de la Culture dépense ainsi dix fois plus en Ile-de-France qu’en région (139 euros par habitant et par an en IDF contre 15 euros par habitant et par an sur le reste du territoire). La moitié de ces « territoires culturels prioritaires » sont concentrés dans huit départements : l’Eure, le Loiret, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Moselle, les Vosges et la Réunion. Cette cartographie est malheureusement incomplète car elle ne prend pas en compte les financements des collectivités territoriales qui sont souvent bien supérieurs à ceux de l’État.
Réponse cinglante de l’Association des CDN, présidée par Robin Renucci dans une lettre ouverte en avril: ce plan “ne répond en aucun cas aux problématiques qui traversent nos lieux et préoccupent nos équipes”. Les directrices et directeurs des CDN regrettent que “au lieu de renforcer les projets d’établissements qui soutiennent au quotidien la création au service de tous les publics, au lieu de soutenir l’existence des compagnies indépendantes qui meurent à petit feu du resserrement drastique des marges budgétaires des Drac, on préfère investir dans un dispositif nommé «Pass culture», qui offrira aux jeunes un «pouvoir d’achat culturel», dont l’encadrement est mal défini, dont le coût est estimé à 400 millions d’euros et dont une grande partie des retombées profitera aux industries culturelles privées.” La semaine dernière, la ministre a reçu une délégation de représentants de directrices et directeurs de CDN et CCN pour les rassurer, une réunion en forme de câlinothéraphie. « On avance » a déclaré Robin Renucci, président de l’ACDN en sortant de la rue de Valois. Une fois de plus, le ministère tente de recoller les morceaux, un défaut de méthode constant pendant cette première année d’exercice.
La liberté de création préservée
C’est sur la question de la liberté de création où François Nyssen a été la plus ferme cette année après l’acte de censure de la pièce de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu. La pièce a été amputée de sa scène finale lors de sa présentation au Mans, décision de la Préfecture de la Sarthe, suite à des courriers de protestation. Françoise Nyssen réagit dans un tweet le week-end qui suit: “Je rappelle mon attachement profond à la liberté de création et souhaite saluer le travail de l’artiste ainsi que les programmateurs qui ont permis la diffusion de son œuvre et le travail de pédagogie théâtrale réalisé auprès des enfants et familles.” Quelques jours plus tard, elle reçoit le metteur en scène italien rue de Valois et réaffirme devant les nommés à la cérémonie des Molières sa volonté de « préserver la liberté de création« .
Une politique culturelle s’apprécie aussi à l’aune des nominations dans les structures culturelles. La première nomination est audacieuse, celle du collectif FAIR[E] issu du hip-hop pour succéder à Boris Charmatz à la tête du Centre Chorégraphique de Rennes. On attend désormais les nominations au CDN de Vire, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, à la Comédie de Colmar et à la Comédie de Reims.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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