À l’heure où Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées présente sa stratégie pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement, à l’heure où de plus en plus de personnes neuroatypiques font irruption dans la vie médiatique, l’utilisation de l’expression artistique pour évoquer la question du handicap se justifie pleinement. Ce que la science échoue parfois à exprimer, l’art y parvient souvent. Nous avons besoin de la science pour poser un diagnostic, comprendre des symptômes, mais nous avons besoin de l’art pour cerner le ressenti d’un être humain face à ce diagnostique et à ces symptômes. C’est ce qui a motivé l’écriture de la pièce On appelle ça les papillons. Le propos est de proposer un éclairage, une histoire, des personnages avec leurs spécificités propres et uniques, et surtout d’en faire un moment de théâtre à la fois divertissant, et questionnant le spectateur, sur un ton fantaisiste et léger. Les questions graves sont évoquées avec plus de justesse par le biais de la légèreté.
Ce texte a une dimension personnelle. Du plus loin que je me souvienne, le handicap a toujours fait partie de mon quotidien. Je l’ai d’abord vécu par procuration : ma sœur Claire est atteinte de ce que les médecins appellent une « inversion péri-centrique du chromosome 7 », formule maléfique qui, selon les sorciers de l’ADN, aurait transformé son carrosse en citrouille. C’est sa différence. À partir de son histoire, de notre histoire, j’ai écrit un livre, Claire de Plume, sorti en 2016 aux éditions Héloïse d’Ormesson, et qui raconte le quotidien d’une personne hors-norme et de sa famille. Pour ma part, j’ai usé deux décennies à essayer de trouver les causes d’une dépression. Ce n’est que très récemment que la question de mon profil neuro-psychique a été abordé. Je suis entièrement responsable de ce délai, m’étant aperçu avec stupeur que j’avais caché à mes divers thérapeutes certains symptômes, craignant d’être pris pour un fou (un comble presque cocasse).
Je ne sais pourquoi, cette époque coïncide avec les premières lignes de cette pièce. Je ne me suis pas embarrassé d’un prénom pour mon personnage, et lui ai donné le mien à l’état de sobriquet : Damino. À l’époque, le « défaut de fabrication » de Damino n’avait pas réellement d’étiquette. On savait seulement que les relations humaines n’étaient pas faciles pour lui. Afin de tenir le sujet au plus près de ma plume, j’ai fait la rencontre de plusieurs personnes neuro-atypiques. De longues conversations avec eux m’ont permis d’abord de réduire les risques d’incohérence quant à mon personnage, ensuite de me poser des questions sur moi-même, me reconnaissant dans bon nombre de spécificités qui m’étaient décrites.
Les personnes qualifiées de « neuro-atypiques » diffèrent les unes des autres. Le point sur lequel tout le monde s’accorde est le rapport au réel. L’appréhension du réel, dans toutes ses déclinaisons (relation aux autres, aux images, aux bruits, etc) semble plus complexe chez une personne « neuro-atypique » que chez une personne « neuro-typique ». Chez Damino, cela se manifeste entre autre par une difficulté à tisser des liens avec autrui. Pour cette raison, il ne s’est jamais départi de son ami imaginaire d’enfance, Dadou. La création d’un ami imaginaire n’est pas spécifique aux personnes neuro-atypiques, mais peut être un moyen pour de matérialiser le pan imaginaire de sa personnalité. Il n’est pas rare, par exemple, de parler tout seul, comme si le chaudron de l’imaginaire était si grand et si plein qu’il se déversait dans le réel. L’existence de Dadou permet à Damino de pratiquer abondamment cette manie un peu hermaphrodite, qui consiste à se parler seul, ou plutôt avec un autre soi-même. Dadou, on s’en doute, ne peut être vu et entendu que par Damino. Pour Damino, Dadou a toutes les qualités (« tu es tout ce que je ne suis pas »). Dadou est une sorte de version idéalisée de Damino.
La timidité engendre souvent aussi un ami imaginaire. C’est le cas du second personnage « réel » de la pièce, Tito, une architecte vivant dans l’immeuble d’en face. Contrairement à Damino, Tito a créé son amie imaginaire à son image : Titou. C’est une autre elle-même, son double. Elle s’en sert pour se donner un semblant de vie sociale, que sa timidité lui interdit. Tito se trouve très bien telle qu’elle est, et ne se voit pas partager son monde imaginaire avec une autre personne qu’elle-même. Elle passe ses journées à peindre devant un chevalet, ou à son bureau, traçant des plans.
Depuis que Damino est en âge de tenir sur deux pattes, il observe Tito à l’aide d’une longue-vue, secrètement amoureux. Mais jamais il n’a trouvé le courage de lui parler. Des milliers de lettres écrites, jamais expédiées… au grand désespoir de Dadou, qui aimerait voir son ami de chair prendre son courage à deux pieds pour traverser la rue et enfin se présenter à Tito. Exaspéré, Dadou conspire un jour pour faire se rencontrer Damino et Tito.
L’histoire se complique au moment où Tito se prend d’amour pour Dadou, et Damino pour Titou… Aimer quelqu’un avec qui il est quasiment impossible de communiquer, c’est l’une des problématiques de la pièce, mais c’est aussi ce qui lui donne sa fantaisie. Le fait qu’un personnage ne puisse pas être vu ni entendu par un autre, donne lieu à des situations délicieusement cocasses.
La présence musicale, par le biais d’un guitariste, offre un contrepoint à l’intrigue. C’est l’incarnation sonore du monde imaginaire des personnages. Le musicien se charge non seulement des transitions entre les scènes, mais aussi des bruitages, afin de donner une dimension burlesque à la pièce. Il accompagne les chansons et danses interprétées au cours du spectacle. La scénographie fait la part belle aux ombres. Un décor miniature projette les silhouettes étirées du mobilier des différentes scènes, comme si chaque objet, chaque meuble, avait aussi un ami imaginaire.
La promesse du papillon
Mise en scène de François Rollin
Avec Damien Luce
En alternance Roxane Armand
Zoé Corraface
Damien Henno
Alexandre Riedel
Orestis Kalampalikis (guitare)
Mise en scène François Rollin
Assistants mise en scène
Virginie Bianchini
Claude-Ursula Maulavé
Création lumière Sébastien Babel
Développement
Louise Durette
(Alto – Solutions artistiques)Théâtre des Variétés
Les vendredis et samedis jusqu’au 7 avril 2019
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