Invité par le Château de la cité drômoise pour ses Fêtes nocturnes 2019, Yves Beaunesne fait du drame de Victor Hugo un moment de théâtre populaire et exigeant, porté par une solide distribution.
Dans l’esprit de Victor Hugo, le château du roi d’Espagne Charles II, à la cour duquel son Ruy Blas se joue, avait peut-être quelque chose de celui de Grignan, qu’à la même époque Madame de Sévigné occupait régulièrement au cours de longs séjours. En y découvrant la mise en scène d’Yves Beaunesne, invité tout l’été dans le cadre des Fêtes nocturnes 2019, c’est en tout cas le sentiment qui, immédiatement, se dégage tant la magnifique façade de l’édifice, au pied duquel l’intrigue se déroule, semble lui offrir un fond de scène naturel, symbole d’un pouvoir fastueux et retranché à la fois.
Car, en cette fin de XVIIe siècle, la maison de Habsbourg vit ses derniers instants sur le territoire espagnol. Roi faible et sans enfant, Charles II, que Victor Hugo dépeint comme un féru de chasse absent, est gouverné par d’autres que lui-même, et notamment par ses ministres. Façon de faire de ce drame historico-romantique une subtile charge politique contre le régime de Louis-Philippe – au pouvoir, en France, au moment de la première représentation de Ruy Blas –, l’écrivain français les réunit en assemblée dénuée de tout scrupule, préoccupée, non par l’intérêt collectif, mais par la somme d’intérêts particuliers qu’elle contient. Parmi eux, figure Don Salluste, ministre déchu par la Reine, qui mûrit sa vengeance. Pour abattre celle par qui son renvoi est arrivé, il choisit d’utiliser son valet, Ruy Blas, de profiter de l’amour-fou du jeune homme pour sa souveraine, afin de leur tendre, à tous deux, un piège à double détente.
Sur cette pièce qui, dans sa langue versifiée à la fois superbe et ampoulée comme dans son intrigue de cour, peut paraître datée – malgré ses quelques fulgurances atemporelles sur la corruption et la privatisation du pouvoir politique –, Yves Beaunesne a voulu faire souffler un vent mêlant tradition et modernité. Tradition, d’abord, dans le choix des costumes. Dessinés par Jean-Daniel Vuillermoz, ils ont la proéminence et la lourdeur de ceux d’antan, mais aussi leur pouvoir symbolique. Quand la Reine se libère de sa robe d’apparat, qui la corsète et l’enserre, elle devient plus femme que monarque, et peut se laisser aller à ses atermoiements sur cette vie malheureuse loin de son Allemagne natale, et, surtout, donner libre court à ses sentiments pour Ruy Blas, dont les mots performatifs bousculent tout, du cœur du pouvoir à celui de sa souveraine.
Modernité, matinée de tradition, ensuite, dans sa scénographie. Outre l’utilisation rusée qu’il fait de l’espace grignanais, Yves Beaunesne a opté pour un plan incliné à la patine contemporaine, mais à la mécanique artisanale, comme pour symboliser la lutte permanente des personnages contre leur descente aux enfers. Modernité enfin, et surtout, dans son appréhension de la pièce et dans la direction d’acteurs qu’il impose. Plutôt que de noircir le drame hugolien, le metteur en scène a préféré y dénicher les quelques touches d’humour qui lui donnent une pointe de légèreté, incarnée notamment par Don Carlos, truculent Jean-Christophe Quenon. Enluminé par quelques moments musicaux et autres jolies images – l’entrée de la Reine, la réunion de ministres aux têtes d’animaux – l’ensemble est, avant tout, soutenu par François Deblock, solide Ruy Blas, et Noémie Gantier, Reine-enfant inattendue. En dépit d’un jeu perfectible, cette fidèle d’entre les fidèles de Julien Gosselin profite de son phrasé particulier pour offrir à la souveraine une facette méconnue. Ce soir-là, malgré la canicule, un vent d’air plus frais qu’on ne l’attendait a bel et bien soufflé sur Grignan.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Ruy Blas
de Victor Hugo
Mise en scène Yves Beaunesne
Avec Thierry Bosc, François Deblock, Zacharie Feron, Noémie Gantier, Fabienne Lucchetti, Maximin Marchand, Guy Pion, Jean-Christophe Quenon, Marine Sylf, accompagnés par les musiciennes Anne-Lise Binard et Elsa Guet
Dramaturgie Marion Bernède
Scénographie Damien Caille-Perret
Création costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières Nathalie Perrier
Création musicale Camille Rocailleux
Maquillages, coiffures et masques Cécile Kretschmar
Assistanat à la mise en scène Pauline Buffet, Jean-Christophe Blondel et Laure Roldán
Maître de chant Haïm IsaacsProduction La Comédie Poitou-Charentes / Centre dramatique national, avec le soutien de la DRAC Nouvelle-Aquitaine, de la région Nouvelle-Aquitaine et de la Ville de Poitiers
Coproduction et création Fêtes Nocturnes du Château de Grignan
Coproductions Théâtre de Liège, Théâtre de la Ville de Luxembourg, Théâtre Montansier, Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
Avec la participation artistique de l’ENSATT et du Studio-Théâtre d’AsnièresDurée : 2h10
Château de Grignan
du 28 juin au 24 Août 2019Théâtre d’Angoulême, Scène nationale
du 8 au 10 octobreOdyssud, Blagnac
du 16 au 19 octobreThéâtre Firmin Gémier/La Piscine, Scène nationale, Chatenay-Malabry
les 5 et 6 novembreThéâtre de Liège
du 12 au 15 novembreThéâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
du 19 au 23 novembreThéâtre de L’Olivier, Istres
le 26 novembreThéâtre de la Ville de Luxembourg
les 5 et 6 décembreLa Manufacture, Centre dramatique national, Nancy
du 16 au 20 décembreThéâtre de la Croix Rousse, Lyon
du 8 au 18 janvier 2020Théâtre Montansier, Versailles
du 22 au 26 janvierThéâtre Molière, Scène nationale de Sète
les 7 et 8 févrierMaison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains
le 11 févrierThéâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national, Saint-Denis
du 26 février au 15 marsThéâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
le 20 marsThéâtre Auditorium de Poitiers, Scène nationale
les 24 et 25 mars
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