Le Pas de l’autre n’est pas une partie de rigolade mais parvient néanmoins à transcender son sujet – le dérèglement climatique et les migrations – et son format – la conférence, en une dialectique scénique dynamique qui révèle un comédien intuitif et dansant, Franck Gazal.
Le sujet est plus que d’actualité, il brûle (sans mauvais jeu de mots). En ce mois d’octobre qui affiche encore des températures printanières après un mois de septembre en forme d’été indien poussé à son paroxysme de chaleur, le Théâtre de Belleville présente Le Pas de l’autre, un seul en scène les yeux dans les yeux avec le public, avec le contexte, avec son temps, qui s’inscrit dans l’urgence de l’époque et donne corps aux recherches de François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et des migrations. Sous la forme d’une conférence théâtralisée qui affiche d’emblée une volonté d’adresse directe et de transmission pédagogique, ce spectacle de facture très simple n’en est pas moins aussi passionnant qu’édifiant et brasse données scientifiques, réflexions étayées et outils de compréhension. Il a en cela le mérite d’être accessible et érudit à la fois et l’on en sort éclairé bien que bouleversé.
Car il s’agit de regarder sans se voiler la face la catastrophe climatique en cours (ne parlons pas au futur s’il vous plaît, les effets dévastateurs du réchauffement climatique ont déjà commencé) et de démêler les liens qu’elle entretient avec les migrations, autre sujet épineux qui divise politiques et opinion publique, et génère bien des discours gouvernés par la peur et les fakes news. Au plateau, le comédien Franck Gazal se fait passeur, il sonne l’alarme mais n’appuie jamais sur le bouton « angoisse », il ne se positionne pas comme celui qui sait mais celui qui veut comprendre et fait appel à un chercheur pour solutionner son trouble et son envie d’en découdre. Là est la bonne idée de ce projet conçu et mis en scène par Michel André, rompu aux thématiques de pure actualité – ses précédents spectacles traitaient du burn out et de la sidération dans le monde du travail ainsi que du Coran après les attentats de 2015, en abordant la question religieuse d’un point de vue historique et anthropologique : mettre à portée de main et d’intelligence, informations vérifiées, données concrètes, cartes, chiffres et clés pour embrasser le sujet dans sa complexité, gagner en hauteur de vue, se débarrasser une bonne fois pour toutes des idées reçues.
Et pour ne pas nous plomber à coup de mauvaises nouvelles ni nous assommer à coup de didactisme indigeste, la représentation est ponctuée de micro parenthèses interactives, ludiques, festives ou dansées, comme pour mieux expier par le corps ce que le cerveau a peine à concevoir. Brefs éclats de joie de vivre que Franck Gazal honore avec une fluidité, une souplesse et un plaisir communicatif. Quelques objets symboliques viennent également matérialiser un minimum de théâtralité dans cet univers conférencier – une pagaie, un drapeau de l’Europe, des fils de fer barbelés – ainsi qu’une scénographie épurée mais expressive constituée de cartons assemblés en mur et tribune oratoire. Un décor qui a le goût du peu et de l’humilité et sert d’écran aux projections vidéo qui sont autant d’immersions dans le réel quand il ne s’agit pas de graphiques et schémas explicatifs. Tout ici est à sa juste place, fait avec parcimonie et éthique. La parole, elle aussi, ne joue pas de la dramatisation à outrance et des ressorts émotionnels propres à nos médias d’information de masse, elle ne surfe pas non plus sur la désinvolture – l’heure est trop grave, mais elle s’attèle à garder le cap dans la tempête sensationnaliste, le flux d’informations contradictoires et le scepticisme à l’ordre du jour.
Et surtout, elle opte pour un ressort qui tient de l’utopie et de notre unique porte de sortie : le dialogue. S’il n’est pas présent physiquement sur scène, François Gemenne accompagne Le Pas de l’autre de bout en bout en une dialectique qui est son modus vivendi. Dialectique à l’œuvre également sur le fond puisqu’il est question non seulement de réchauffement climatique mais aussi de migrations et surtout du lien qui les unit. Car aujourd’hui catastrophes naturelles, typhons, éruptions volcaniques, tremblements de terre et inondations deviennent la première cause de déplacements de populations. Ce qu’on était loin d’imaginer tant les raisons politiques, économiques… ne manquent pas. Le Pas de l’autre ne se contente donc pas de nous marteler ce que l’on sait déjà, il adopte un point de vue délibérément humaniste et met la pensée en partage avec l’intime conviction que c’est en considérant l’autre comme partie intégrante de nous-mêmes que nous nous en sortirons. Grandis et meilleurs. Faire humanité autrement, la réponse à nos maux ? Sûrement.
Marie Plantin – Sceneweb.fr
Le Pas de l’autre
Texte François Gemenne
Conception et mise en scène Michel André
Jeu et co-écriture Franck Gazal
Son José Amerveil
Scénographie Mariusz Grygielewicz
Création lumière Yann Loric
Vidéo Thierry Lanfranchi et Laura Blanvillain
Régie générale Jade Rieusset
Accompagnement chorégraphique Geneviève Sorin
Production Compagnie D’ici demain
Production déléguée et diffusion Théâtre La Cité
A partir de 14 ansDurée : 1h10
Du 4 au 28 octobre 2023
Au Théâtre de Belleville
Le 7 novembre 2023 à la Friche la Belle de Mai – Marseille
Avril 2024 Théâtre La Cité / Biennale des écritures du réel #7
Samedi à 21h15
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