Membre du collectif d’auteurs et d’artistes du Théâtre du Nord depuis 2016, Tiphaine Raffier en ouvre la saison avec France-fantôme. Une pièce d’autant plus passionnante qu’elle s’inscrit dans un genre peu exploré au théâtre : la science-fiction.
Tiphaine Raffier ne s’en cache pas : elle raffole de la littérature et du cinéma de genre. Après Dans le nom (2014), thriller en milieu rural sur fond de sorcellerie, la jeune auteure et metteure en scène issue de la 2ème promotion de l’École du Nord empreinte dans France-fantôme la voie de George Orwell et de Aldous Huxley. Ou encore de Ray Bradbury, un des rares auteurs de science-fiction à s’être penché sur la question de la scène avec Théâtre pour demain… et après (Denoël, 1973), recueil de trois pièces où il affirme en préface que « dans une pièce de science-fiction, plus vous vous obstinez à essayer de créer le monde de demain, plus vous courez vers l’échec ».
Optant pour la sobriété et la distance prônée par l’auteur de Farenheit 451, Tiphaine Raffier s’empare avec bonheur des codes de la dystopie pour imaginer une France au temps de la « neuvième révolution scopique ». France-fantôme commence ainsi dans un décor parfaitement réaliste. Dans son salon, une professeure de lettres (Edith Meriau) élève la voix contre un jeune homme (Johann Weber) venu lui rendre visite. L’objet de la conversation nous échappe en partie. Jusqu’à ce que, une fois seule, la femme appelle son mari pour lui expliquer la raison de son trouble : un programme supprimant 10 % des œuvres littéraires. Son interlocuteur reste sans voix. Il vient d’être victime d’un attentat.
Le futur, dans France-fantôme, s’exprime donc d’abord par la langue. Par une réflexion sur la mémoire aussi, qui part de l’histoire de l’art pour glisser vers l’intime. Grâce à ces deux motifs autour desquels elle développe un univers aussi complexe que cohérent, Tiphaine Raffier fait de la dystopie un foisonnant terrain de jeu théâtral et intellectuel, basé comme tout récit de science-fiction sur une invention technologique : le Démémoriel. Permettant à chacun de « décharger ses souvenirs » moyennant rémunération, cette machine dont on peut voir plusieurs spécimens clignoter sur le plateau offre à l’héroïne de la pièce la possibilité de retrouver son époux – du moins sa mémoire, injectée dans un autre corps – dont elle ne supporte pas la perte.
Tiphaine Raffier lorgne aussi du côté du mélodrame. Vue par sa protagoniste attachée à l’ancien monde, sa république du futur apparaît dans toute sa violence. Dans toutes ses injustices sociales, qui ne sont pas sans en rappeler d’autres. Bien réelles celles-ci. Parmi les plus passionnantes, des scènes de cours et de discussion collective nourrissent un théâtre conscient du fait que la science-fiction d’hier est la réalité d’aujourd’hui. Et que pour donner l’alerte, il faut continuer à penser le futur avec exigence. Sans tomber dans une dénonciation facile des dérives technologiques et spectaculaires. Déployant une esthétique hybride où vidéo et musique se mêlent harmonieusement au jeu, Tiphaine Raffier y réussit tout à fait. France-fantôme confirme ainsi ce qu’avaient laissé deviner ses deux précédentes créations : une auteure est née.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
France-fantôme
Texte, mise en scène Tiphaine Raffier
Avec : Guillaume Bachelé, François Godart, Mexianu Medenou, Edith Merieau, Haïni Wang, Johann Weber, Rodolphe Poulain et 2 musiciens Marie Eberle, Pierre Marescaux (distribution en cours)
Spectacle présenté en co-réalisation avec La rose des vents
Production : Théâtre du Nord, CDN Lille – Tourcoing – Hauts-de-France / Cie La femme coupée en deux.
Coproduction : Scène nationale 61, Alençon / Le Phénix, scène nationale de Valenciennes / La Criée, Théâtre National de Marseille / La rose des vents, Scène nationale Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq / Le Théâtre de Lorient – Centre Dramatique National.
Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Hauts-de-France et DICREAM – et du Dispositif d’insertion de l’Ecole du Nord.
L’écriture du texte a été initiée à l’occasion du stage AFDAS « Créer en collectif » qui a eu lieu à La Comédie de Béthune en juin 2015, avec le Collectif SVPLMC.
Une première version a été présentée en lecture dans le cadre du festival du Jamais lu à Théâtre Ouvert – Paris – en octobre 2015 et au Théâtre Aux Ecuries – Montréal – en mai 2016, avec le soutien du CnT et du CALQ.
Durée: 2h30Théâtre du Nord
4 octobre › 15 octobre 2017
Lille – Grande salledu 9 au 13 janvier 2018 au à La Criée – Théâtre National de Marseille
les 16 et 17 janvier 2018 à la Comédie de Valence
les 25 et 26 janvier 2018 au Théâtre de Lorient – Centre Dramatique National
du 31 janvier au 10 février 2018 au Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis
les 13 et 14 février 2018 à la Scène nationale 61, Alençon
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