Je voulais parler de désillusion. La désillusion d’une admiration. La question de l’admiration est souvent présente dans les rapports humains. Amour, amitié, travail, peu importe, nous y faisons face chaque jour. On rencontre quelqu’un et parfois, l’imaginaire prend le relais sur la réalité de l’autre, sur la réalité de ses attitudes, de ses prises de parole, de son rapport à nous. Je voulais parler de ça. De ce moment où les choses s’éclairent. J’avais cette envie là. Lorsque l’on vit une rupture, amoureuse ou non, arrive parfois cette question : « Comment j’ai pu ne pas m’en rendre compte ? » Sur quoi est basée l’admiration et qu’est-ce qu’elle nous amène ? Dans le théâtre, l’admiration est présente. La désillusion aussi. Il était logique pour moi de baser ces envies à cet endroit. Mais il ne s’agit pas, au final, de rester sur le théâtre. Il faut ouvrir, puisque nous connaissons tous cette sensation de découvrir réellement une personne après l’avoir pourtant tellement connue. Partir d’une situation précise, d’intimité pour aller vers une universalité. Nous partirons donc d’une salle de répétition. Là se trouve un metteur en scène et sa comédienne, qui travaillent. Il a demandé aux autres comédiens de venir plus tard. D’une séance de travail banale, quotidienne, où se posent les questions de la création, nous arrivons par petites touches à l’emprise, à la manipulation et à la rupture. Comment on peut admirer pendant si longtemps une personne, pour se rendre compte finalement à quel point elle avait une emprise néfaste sur nous ? Et surtout, comment s’en libère-t-on ?
La comédienne, qui avait tellement d’admiration pour son metteur en scène, reprend la parole qui lui était due . La pièce prend un autre sens aujourd’hui, à la suite des différentes prises de parole de femmes dans le monde face au harcèlement, face à la domination. Il ne s’agit pas de faire un manifeste féministe. Mais quand même, c’est là, quelque part. J’ai envie de redonner une parole à ceux qui ne l’ont pas. On croit, on peut croire parfois qu’on a cette possibilité, que les rapports sont droits, horizontaux, égalitaires. On peut croire que notre avis compte. C’est là que c’est le plus dangereux, lorsqu’on croit avoir son mot à dire mais qu’il n’est pas pris en considération. Et lorsque tout craque, on revient en arrière et on revoit tout sous un nouvel angle, tout ce qu’on avait pu interpréter comme des conversations banales et qui ne l’étaient tellement pas. Je veux parler de ce mécanisme là. Je veux parler du rapport qui s’établit entre deux personnes, lorsque personne d’autre ne regarde. Presque personne. Dans la pièce, une personne est là, muette, invisible. Le technicien est là, témoin de loin de la scène qui est en train de se jouer. Celui qui rend plus précis les rapports de force qui s’opèrent.
J’écris pour les acteurs avec qui je vais travailler. Ici, ce sont Jeanne et Valentin. Ce sont des amis, nous nous connaissons bien, nous avons beaucoup parlé de tout ça. J’écris pour leur voix et leur corps et leur rapport entre eux, leur rapport au plateau. Ce n’est pourtant pas une pièce autobiographique. Une fiction. Le plateau sera nu. Deux acteurs et un texte. Et un bouquet de fleurs. Nous allons travailler deux « espaces » de jeu : Il y a la réalité de la répétition et les rapports quotidiens ; puis il y a la fiction à l’intérieur de la fiction : la pièce qu’ils répètent et dont ils livreront des extraits pendant leur travail. Pour l’acteur, il s’agira de jongler entre ces différents énergies. Ne pas se cacher. A cela s’ajoutera la rupture. Lorsque le vrai visage de celui qu’on admirait se dessine. La rupture de la structure, de tout ce qu’on croyait vrai. La rupture des sensations, des sentiments. La rupture avec la réalité. Il va falloir travailler les mots, beaucoup. Même dans les échanges quotidiens – qui paraissent quotidiens – il faudra contrer la banalité du langage, que tout prenne une importance extraordinaire pour que tout soit audible, pour qu’on se souvienne de tout, pour que le spectateur connaisse la pièce par cœur en sortant. Qu’il puisse se remémorer des choses et comprendre à quel point nous avions tous été aveugle. Les acteurs emporteront le public dans leur aveuglement. On enlève le quotidien, parce que ce qui se joue ne l’est pas. Les petites prises de parole s’en vont pour laisser place au fleuve du ressenti qui se cachait jusque là. Une revanche des petits. Une revanche, par la parole, des non-entendus.
Victor Guillemot.
FRACTURE
Texte et mise en scène : Victor Guillemot
Avec : Jeanne Bonenfant, Valentin Naulin
Création Lumières : Vincent Le Pichon
Production : Compagnie Gibraltar
Soutiens : Théâtre Massenet – Lille ; avec le soutien financier de la région Hauts-de-France
Partenaires : Compagnie la fidèle idée, Le Tripostal, Théâtre du Nord.
du 11 au 15 septembre 2019 : Théâtre la Reine blanche – Paris
Le 26 Septembre 2019 : Théâtre Massenet – Lille
Du 28 au 30 Novembre 2019 : Théâtre la Verrière – Lille
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