Dans Fluid Grounds, créé à Montréal lors de la 12ème édition du festival TransAmérique (23 mai – 7 juin 2018), le chorégraphe et performeur Benoît Lachambre et Sophie Corriveau dessinent dans l’espace les relations humaines. Pour une transformation du quotidien. La performance vient à Paris au CN D dans le cadre de Camping le 20 juin.
Accroupis, ils les étirent et les déroulent sur le sol. Ils en font des lignes qui se transforment vite en courbes. Ils les froissent et les transforment en objets étranges. En chimères naïves ou en meubles. En petits totems à regarder ou à bercer dans ses bras. Avec de simples rouleaux de rubans adhésifs, les cinq artistes de Fluid Grounds, deuxième volet d’un triptyque initié avec Lifeguard (2017), habillent les espaces qui leur sont offerts. Sans un mot, tout entiers à leur tâche, ils y déploient un arc-en-ciel et invitent le public qui déambule parmi eux à faire de même. Comme à son habitude, Benoît Lachambre, qui co-signe cette performance chorégraphique avec la danseuse et chorégraphe Sophie Corriveau, se place avec cette création à la lisière du spectacle. Quelque part entre l’installation plastique et la danse. À un endroit où le désir croise le sacré. À un carrefour de tous les possibles.
« Un toucher existe-t-il avant que le contact se produise ? Pouvons-nous nous engager dans des touchers non intrusifs ? Comment donner à l’espace qui nous entoure sa valeur de lien mobile et tangible ? Comment une danse peut-elle se définir par le ressenti, celui qui est motivé par l’affect ? ». Formulées par Benoît Lachambre dans le livre FTA : Nos jours de fête (éditions Somme toute) paru au moment du festival TransAmériques (FTA), ces questions traversent les heures de bricolage – huit au FTA, quatre au Centre National de la Danse, où aura lieu la première française – sans jamais être formulées.
La force de Fluid Grounds est dans les courbes arcs-en-ciel qui remplissent peu à peu le terrain de jeu investi et dans celles que forment le dos des performeurs. Soient Benoît Lachambre et Sophie Corriveau, accompagnés de Marcio Canabarro, Anouk Thériault et Nancy Tobin, qui dans leur patient ouvrage dévoilent des présences singulières. Toutes différentes bien qu’unies par un projet commun. Benoît Lachambre poursuit ainsi un questionnement de longue date de l’histoire collective québécoise. Réputé être le plus grand festival de danse et de théâtre d’Amérique du Nord, ce dernier témoigne ainsi d’un malaise identitaire que l’on a pu ressentir dans bon nombre des créations québécoises programmées cette année.
Rituel dansé avec le public, sur une musique en grande partie autochtone, Lifeguard, présenté lors de la précédente du FTA, témoignait d’une manière très directe de la marginalisation des cultures autochtones. De ce que Yves Sioui Durand, ancien directeur de la plus ancienne compagnie de théâtre autochtone du Québec, qualifie dans le livre cité plus tôt d « américanité qui se ment sur ses origines, qui a bâti son mythe sur de nombreux génocides, sur des extinctions d’animaux sauvages, sur des politiques de supériorité culturelle et raciale (…)« . Si dans Fluid Grounds, aucune référence explicite à ce sujet ne vient guider l’interprétation du spectateur, tout est fait pour qu’on en devine la présence. Pour qu’il vienne trouver sa place parmi les nombreuses réflexions que soulève l’œuvre.
Empruntée à la médecine traditionnelle chinoise – celle du taping, qui consiste en la pose de bandages adhésifs dans le cadre du traitement des douleurs et lésions musculo-articulaires –, la technique utilisée par Benoît Lachambre, Sophie Corriveau et leurs compagnons permet de faire cohabiter sacré et profane de même que passé et présent. À Paris, où les deux initiateurs du projet donneront aussi un workshop, et ailleurs, la pièce pourra ainsi être reçue différemment. Et se transformer au gré des réactions des spectateurs, toujours au centre des œuvres de Benoît Lachambre pour montrer, selon ses propres termes, « qu’il est possible de sentir les choses autrement ». De réenchanter même ce qui semble voué à la destruction.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Fluid Grounds
Un spectacle de Par B.L.eux et Sophie Corriveau
Direction et conception visuelle et kinesthésique : Benoît Lachambre
Idéation : Sophie Corriveau, Benoît Lachambre, Nancy Tobin
Performance et collaboration à la création : Marcio Canabarro, Sophie Corriveau, Benoît Lachambre, Anouk Thériault, Nancy Tobin
Conception sonore : Nancy Tobin
Lumières : Jean Jauvin
Regard extérieur : Martin Bélanger
Conseil artistique : Katya Montaignac et Angélique Willkie
Performeurs à la recherche en création : Simon Portigal et Seckin Cinar
Direction technique : Samuel Thériault
Coproduction : Festival TransAmériques + Agora de la danse (Montréal) + Charleroi Danse
Codiffusion : Agora de la danse
Rédaction : Elsa Pépin
Traduction : Neil Kroetsch
Création au Festival TransAmériques, Montréal, le 1 juin 2018La Raffinerie, Bruxelles
Les 31 mai, 1 et 2 juin 2019Lifeguards sera présenté les 9 et 10 juin 2018 au Festival Fabbrica Europa de Florence et le 13 juin au Cross Festival de Verbania.
20.06.18 — 19:00
CN D Pantin
Première française
Entrée libre
Avec l’Atelier de Paris, June Events festival
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