Dans Final Cut, Myriam Saduis se livre pour la première fois à un récit intime. À une exploration en profondeur, mais non sans humour, d’une histoire familiale pleine de trous et de tragédies. Entre France, Italie et Tunisie.
Si Myriam Saduis a la démarche légère, aérienne, on ne peut pas dire qu’elle danse. Tout juste, en chantant quelques phrases de Barbara ou au détour d’un souvenir particulièrement vif, esquisse-t-elle un petit bal solitaire. Quelques pas qui laissent deviner une grande fragilité derrière sa manière franche, presque brute, d’occuper l’espace. Si elle a travaillé avec la chorégraphe d’origine libanaise Nancy Naous, et qu’elle exprime volontiers son rejet de tout spectacle qui manque de corps, sa nouvelle création, Final Cut, est clairement du côté du théâtre. Il repose sur le mot. Mariem Guellouz et Kahena Sanaâ, respectivement directrice et directrice artistique de Carthage Dance à Tunis n’ont pourtant pas hésité à mettre cette pièce au programme.
Créé en novembre 2018 au Théâtre Océan Nord à Bruxelles, qui soutient Myriam Saduis depuis ses débuts dans la mise en scène avec Une affaire d’âme – première création théâtrale du récit éponyme d’Ingmar Bergman –, Final Cut devait passer par Tunis avant de poursuivre sa route à La Manufacture au Festival d’Avignon. Car dans cette création qu’elle qualifie de « monologue-en-duo », où le comédien Pierre Verplancken fait à ses côtés quelques brèves mais puissantes apparitions, la Tunisie tient une place centrale. De ce pays où la démocratie acquise après la révolution de 2011 bute sur de nombreuses difficultés, la comédienne et metteure en scène a hérité la moitié de l’histoire qu’elle conte dans Final Cut. L’autre venant de l’autre côté de la Méditerranée. De France et d’Italie.
Dès les premiers mots qu’elle prononce derrière un bureau planté côté jardin, Myriam Saduis expose la lacune personnelle, l’inconnu à partir duquel elle a construit sa pièce. « Je suis née en France, en 1961. Et je n’ai découvert qu’à 40 ans dans quelles circonstances ma naissance a eu lieu », dit-elle avant de présenter ses parents. Son père tunisien et sa mère née en Tunisie dans une famille de colons italiens. Grave avec une touche de dérision, son ton quasi-professoral tranche d’abord avec la nature du propos abordé. D’emblée, l’artiste installe ainsi un trouble. Un entre-deux qui, lorsqu’elle relie son récit personnel à celui des sociétés tunisiennes, françaises et italiennes des années 1960, se rapproche de l’écriture d’Annie Ernaux dans Les Années (2008). Une « auto-socio-biographie », selon le terme inventé par l’auteure elle-même, où la vie privée d’une femme et l’Histoire de la France depuis l’immédiat après-guerre jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy sont placées sur un plan d’égalité. Où le quotidien révèle le fond d’une époque.
Le récit de la bataille de Bizerte ouvre la belle exploration de Myriam Saduis. Sa mère, apprend-on, fait partie des Européens qui fuient la Tunisie en 1963, pour aller s’installer en France. Dans son langage précis, presque coupant mais aussi plein d’un humour dont on sent qu’il est le fruit d’une conquête, l’artiste ouvre ainsi la chronique d’une enquête qu’elle a menée pendant de nombreuses années afin de comprendre la disparition de son père avant sa naissance. Et la violence, puis la folie de sa mère qui, du fait de son union avec un Tunisien dans un contexte postcolonial, a subi l’exclusion des siens. Comme l’indique son titre qui emprunte au lexique du cinéma, Final Cut est aussi l’histoire d’un montage. Celui de la pièce elle-même, raconté en quelques mots au détour d’une anecdote, d’une tentative de reconstitution.
Si Myriam Saduis ne danse pas au sens habituel du terme, elle fait valser sa mémoire et ses sentiments. Sur un fil, conservant sa force de joie jusque dans les passages les plus sombres de sa traversée, elle réussit à transmettre non seulement une mémoire complexe, mais aussi toute la lutte, tout le travail qu’a nécessité l’écriture du spectacle. Tout le temps et la peine qui font sa valeur, sa beauté.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Final Cut
Avec Myriam Saduis et Pierre Verplancken en alternance avec Olivier Ythier
Conception et Ecriture Myriam Saduis / Collaboration à la mise en scène Isabelle Pousseur / Conseillers artistiques Jean-Baptiste Delcourt, Magali Pinglaut / Construction Virginie Strub / Création lumières Nicolas Marty / Création Son Jean-Luc Plouvier / Création image Joachim Thôme / Création costumes Leila Boukhalfa / Ingénieur son et régisseur vidéo Florent Arsac /Mouvement Nancy Naous / Collaboration dramaturgie Valérie Battaglia / Diffusion Zef – Isabelle MuraourProduction Théâtre Océan Nord / Coproduction Défilé / la Coop asbl Soutiens Fédération Wallonie-Bruxelles – Service Théâtre (CAPT) / Shelterprod / Taxshelter.be / ING / Tax-Shelter du gouvernement fédéral belge.
Durée: 1h30
Off 2024
11 Avignon
22h • Salle 3 – 1h30
Du 2 au 21 juillet – Relâches les lundis 8 & 15 juillet
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