À l’adresse surtout d’un public adolescent, l’auteur et le metteur en scène incarnent, dans Fast, une multiplicité de personnages pour questionner notre rapport à la mode et les conséquences désastreuses de sa variante jetable. Pas révolutionnaire, mais très efficace.
Dès son sous-titre, Fast affiche un gros programme : comment peut-on se réapproprier nos désirs dans une société de consommation ?. Le tout en à peine plus d’une heure, dans un espace en bi-frontal laissant peu de place pour les décors et avec deux acteurs sur le plateau qui incarnent une multiplicité de personnages : une spécialiste en neuromarketing, une influenceuse, mais aussi un bourgeois et un noble pris dans la Révolution française.
Partant du constat qu’il a acheté un tee-shirt blanc avant de le laisser dormir pendant des années dans son placard avec l’étiquette toujours en place, Didier Poiteaux se questionne pour la première fois de sa vie sur ses vêtements, alors qu’il ne s’habillait jusque-là – en partie pour des raisons économiques – que de façon utilitaire. La boîte de Pandore est ouverte et l’auteur remonte à la Renaissance, à une époque où le développement du commerce se combine à l’essor d’une bourgeoisie qui, pour imiter la noblesse, modifie son look et s’achète de nouveaux habits, dont la production s’accélèrera par la suite avec la révolution industrielle, puis la délocalisation vers les pays d’Asie du Sud-Est. Les rôles s’enchainent à vive allure, à la manière de ceux du Porteur d’Histoire d’Alexis Michalik qui, justement, s’appuyaient en grande partie sur des changements de costumes à vue pour voguer d’époque en époque. Au XXe siècle, les vêtements ne coûtent plus grand-chose aux consommateurs qui financent bien plus le commerce que l’ouvrier situé au début de la chaîne – seul 0,6% du prix de vente lui est dévolu. Puisque tout le monde est déjà suréquipé, reste à insuffler le désir. C’est tout le travail des chaînes comme H&M, Zara – pionnière en la matière – ou Shein, abondamment citées.
Pour rendre digeste ce déroulé, le duo de la troupe bruxelloise INTI, spécialiste des spectacles à destination des ados – le précédent, Un silence ordinaire, consacré à l’alcoolisme, avait été nommé au prix Maeterlinck catégorie jeune public en 2020 – joue habilement avec de nombreux outils du théâtre – le mode documentaire, mais aussi celui du forum, micro en main, en lien avec le public régulièrement sondé et invité à participer à des jeux basiques, et un peu approximatifs, pour deviner la chaussure phare des années 2020, 2019, 2017, 2000. Les périodes choisies sont, avant tout, des prétextes pour relier le propos sur la fast-fashion avec les personnages, souvent d’inspiration autobiographique, incarnés par les deux acteurs – chacun remontant le fil de sa jeunesse et son rapport au style –, mais également pour en rire – oui, le blouson Millet des années 1980 n’avait rien de fameux, pas plus que la claquette-chaussette de 2017. La mode et sa versatilité sont frontalement montrées, notamment lors d’un défilé. Pour autant, les ados présents sous forme de micro-trottoir – et ceux de la salle, parfois interrogés – sont très écoutés dans cette nouvelle création faite pour eux et avec eux.
Car le spectacle a un objectif : tenter d’infléchir leurs (et nos) pratiques de consommation. Une avalanche de chiffres édifiants est énoncée par l’un des deux membres du tandem, pendant que l’autre construit un mur de cartons – ceux qui sont livrés en Europe au rythme de vingt charters par semaine ! Puisque, apprend-on, 410 millions de vêtements sont produits dans le monde chaque jour. Les camps de travail forcé des Ouïgours, la pollution générée par cette masse de vêtements, le dramatique effondrement de l’usine textile Rana Plaza qui, en 2013, a causé la mort de 1138 personnes au Bangladesh… Rien n’est oublié dans ce spectacle qui affiche clairement sa volonté de mener une « réflexion joyeuse sur notre rapport au monde et notre façon de nous présenter à lui ». Des pistes pour mieux contrôler sa pulsion d’achat concluent Fast, en prenant bien soin de ne pas le plomber.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Fast, ou peut-on se réapproprier nos désirs dans une société de consommation ?
de et avec Olivier Lenel, Didier Poiteaux
Texte Didier Poiteaux
Soutien à la mise en scène Valériane De Maerteleire
Scénographie Sofia Dilinos
Costumes Perrine Langlais
Création lumière Pier Gallen
Montage sonore Roxane Brunet
Création musique Matthieu Viley
Régie Pier Gallen, Fanny Boizard ou Roman Quennery
Infographies Julie Majcherczyk
Regard extérieur Pierre-Paul ConstantProduction INTI Théâtre
Coproduction Pierre de Lune, Centre culturel de Verviers, Centre culturel de Dinant, Central et la Coop asbl
Partenariats Centre culturel Wolubilis, Centre culturel de Berchem-Sainte-Agathe et Koekelberg/Archipel 19, la Roseraie, Théâtre de la Montagne Magique, Service culture de la Commune d’Ixelles, Ville de Bruxelles, Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, Théâtre des Doms, achACT asbl et la Sonuma
Avec le soutien du Service du théâtre de la Fédération Wallonie Bruxelles, de la COCOF, de WBI/WBTD et de taxshelter.be, ING et du tax-shelter du gouvernement fédéral belgeDurée : 1h
Théâtre du Point du Jour, Lyon
du 5 au 7 novembre 2024Centre culturel de Silly (Belgique)
le 20 novembreThéâtre de la Montagne Magique, Bruxelles (Belgique)
le 12 février 2025Théâtre Jean-Vilar, Vitry-sur-Seine
le 26 marsW:Halll, Woluwe-Saint-Pierre (Belgique)
le 3 avril
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