De drôles épouvantails se font les porte-paroles du désœuvrement paysan et de l’aspiration collective à un monde plus écolo dans Farm fatale, la nouvelle production joyeusement délurée et désabusée de Philippe Quesne, créée aux Kammerspiele de Munich et présentée à Nanterre-Amandiers.
Des cheveux blond-roux comme la paille qui débordent de leurs poches et de leurs bottes en caoutchouc, des silhouettes bossues et dégingandées, des traits épais et boursouflés, ce sont les créatures tout à fait insolites et hybrides, entre le pantin et l’humain, effrayantes et tellement attachantes, qu’interprètent au plateau cinq acteurs français ou allemands complètement méconnaissables. Leurs visages sont recouverts de masques blancs grimaçants, leurs voix sonorisées et déformées, leurs expressions gentiment hébétées. Ces épouvantails se livrent à une pantomime parfaitement réussie dans un semblant de ferme où quelques ballots de foin et un cochon rose des plus factices ont été déposés. Les mondes étonnants que privilégie le scénographe Philippe Quesne ont ceci d’étrange et de magnifique qu’ils semblent toujours totalement isolés, abandonnés, mais néanmoins pleins de ressources et propices à la vie, au renouveau. Ce sont les profondeurs d’une grotte obscure, une lande recouverte de neige, un marécage brumeux, une île déserte ; ici, un corps de ferme réduit à sa plus simple expression, un espace étroit et vide, bâché comme en travaux, où suintent la solitude et l’immobilité. Ironiquement, un panneau de signalisation flèche l’« Umleitung » (le détour) comme s’il n’y avait rien à voir.
Ces habitants figés dans un temps étale s’ingénient d’abord à capter les « archives sonores » de leur monde en proie à l’effondrement et à la disparition. Chant du coq, pépiements d’oiseaux, bruits de montagnes et de ruisseaux, sont alors enregistrés au moyen d’un micro perché sur une fourche et d’un antique magnétophone. Contraints à l’inertie et l’oisiveté, ils inventent une sorte de radio alternative où s’expriment leur enchantement bucolique comme leurs colères et leurs déprimes fatalistes par l’intermédiaire de chansons, de compositions musicales, entre autres interviews d’insectes et discours militants.
C’est encore une fois un spectacle doux-dingue que propose l’inventif Philippe Quesne avec cette fable rurale au charme enfantin, à l’ingénuité plaisante, toujours pleine d’humour, de poésie, de bon sens et d’esprit. Très concerné par les questions environnementales et inspiré par l’anthropocène, l’artiste fait entendre l’état d’un monde dystopique où les agriculteurs sont accablés par la surproductivité et l’industrialisation de leur métier. Rêveurs et activistes, les personnages réinventent un système qui préserve la nature. Et celle-ci le leur rend bien dans un final mystico-futuriste où une bête à poils pond abondement des œufs permettant le recommencement attendu.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
FARM FATALE
CONCEPTION, SCÉNOGRAPHIE ET MISE EN SCÈNE
Philippe Quesne
AVEC
Léo Gobin,
Stefan Merki,
Damian Rebgetz,
Julia Riedler,
Gaëtan Vourc’h
COLLABORATION SCÉNOGRAPHIQUE
Nicole Marianna Wytyczak
COLLABORATION COSTUMES
Nora Stocker
RESPONSABLE MASQUES
Brigitte Frank
LUMIÈRES
Pit Schultheiss
SON
Robert Göing
ASSISTANTS À LA MISE EN SCÈNE
Jonny-Bix Bongers
Dennis Metaxas
DRAMATURGIE
Martin Valdés-Stauber
COLLABORATION DRAMATURGIQUE
Camille Louis
PRODUCTION
Münchner Kammerspiele – Munich
COPRODUCTION
Nanterre-Amandiers, centre dramatique nationalDurée: 1h30
Nanterre Amandiers
19 — 25 SEPTEMBRE 2019
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