Avec Falaise, la compagnie franco-catalane Baro d’Evel continue de repousser les limites du cirque équestre. Fascinant ballet pour huit interprètes, un cheval et des pigeons, cette nouvelle création questionne la chute avec un humour et une férocité splendide.
Minuscule face à un grand rideau noir tendu devant la scène, c’est l’actrice, auteure, chanteuse et metteure en scène Camille Decourtye qui nous accueille. Avec sa robe noire et ses talons qui lui donnent une démarche sautillante, légèrement maladroite, elle pose les règles de la nouvelle « petite cérémonie pour être ensemble » qu’elle a conçue avec son partenaire et cofondateur avec elle de la compagnie Baro d’Evel Blaï Mateu Trias, qui arpente le devant de la scène. En faisant mine de chercher comment passer derrière l’épais tissu, elle souligne la distance qui sépare la scène du plateau en même temps que son désir de la réduire, sinon de l’abolir. « Ça va bien se passer », dit-elle avec un sourire ambigu avant de disparaître. La falaise promise par le titre de la nouvelle création de Baro d’Evel est-elle dangereuse ou enchanteresse ? La question se poursuit derrière le rideau qui finit par se lever.
Malgré ce préambule brechtien, le premier tableau de Falaise transporte d’emblée le spectateur dans des cimes étranges, dont on ne sait de quel côté de la vie elles se situent. Pas plus qu’on ne devine si elles appartiennent au passé ou à l’avenir. Très cinématographique – les références revendiquées par les deux créateurs de Baro d’Evel vont de Bela Tarr à Tarkovski, en passant par Wim Wenders –, le décor qui s’offre à nous a le sinistre d’un cachot. Dans la pénombre où se détache la silhouette avachie d’un homme à la barbe blanche – Guillermo Weickert –, les parois terreuses qui délimitent la scène semblent hermétiques à toute forme d’ailleurs. Jusqu’à ce que des pigeons surgissent d’on ne sait où pour fondre sur la seule présence humaine, et l’entraîner dans une sorte de danse dont on ne sait si elle annonce un nouveau début ou une fin.
Dans Falaise, les hommes et les animaux ne cessent de débouler des deux entrées percées dans la roche à cour et à jardin, mais aussi de la roche elle-même. Dans ce décor qui les avale et les recrache sans répit, les huit interprètes de la pièce – Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Claire Lamothe, Blaï Mateu Trias, Oriol Pla, Julian Sicard, Marti Soler et Guillermo Weickert –, ainsi que les oiseaux et le cheval qui les accompagnent forment un groupe aux comportements bizarres et changeants. De loin la pièce la plus narrative de Baro d’Evel, Falaise est le portrait d’un monde où la déréliction peut être source de joie, et inversement. C’est une somme de petites choses diverses – des chant, des acrobaties, un cheval capricieux, des oiseaux tantôt amicaux, tantôt de mauvais augure… – qui s’assemblent en une fresque monumentale mais pleine de belles fragilités. Et de rituels ouverts à l’interprétation autant que les parois aux allures montagneuses le sont au passage des hommes.
L’effritement, chez Baro d’Evel, va de pair avec l’invention de rapports singuliers entre les êtres, eux-mêmes sources de rencontres entre de nombreuses disciplines artistiques. Fruit d’une recherche commencée par Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias il y a une vingtaine d’années, Falaise présente un univers hybride d’une cohérence rare dans le milieu du cirque, où acrobatie et narration se marient encore assez rarement de manière harmonieuse. Pour y parvenir, la compagnie a fait appel pour la première fois au scénographe Lluc Castells et à l’autrice, dramaturge et maître de conférences en littérature et arts Barbara Métais-Chastanier. Aucun mot, aucun saut n’est gratuit dans Falaise. Pour dépeindre son humanité en plein vertige, Baro d’Evel compose une partition foisonnante, au bord de la transe mais d’une grande précision.
Ponctuée de moments de fulgurances où la petite communauté se livre à son étonnante manière à toutes sortes de cérémonies – on reconnaît, dans le délire ambiant, les signes d’un mariage, d’un enterrement, d’une naissance ou encore d’une révolte –, la pièce fait le récit d’une transformation. Avec son vocabulaire hybride, elle dit les tentatives d’un groupe d’échapper à la noirceur qui l’entoure. Sans cacher ses lâchetés ni ses autres failles. Entre grotesque et sublime, le ballet humain et animalier de Baro d’Evel atteint au questionnement métaphysique par des voies d’autant plus belles qu’elles sont inattendues.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Falaise
Texte et mise en scène : Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias
Avec : Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Claire Lamothe, Blaï Mateu Trias, Oriol Pla, Julian Sicard, Marti Soler, Guillermo Weickert, un cheval et des pigeons
Collaboration à la mise en scène : Maria Muñoz, Pep Ramis — Cie Mal Pelo
Collaboration à la dramaturgie Barbara Métais-Chastanier
Scénographie : Lluc Castells assisté de Mercè Lucchetti
Collaboration musicale et création sonore : Fred Bühl
Création lumières : Adèle Grépinet
Création costumes : Céline Sathal
Musique enregistrée : Joel Bardolet
Régie générale : Cyril Monteil et et Cédric Bréjoux
Régie plateau : Flavien Renaudon et et Mathieu Miorin
Régie son : Fred Bühl
Accessoiriste : Lydie Tarragon
Régie animaux : Marine Janot
Production : Baro d’evel
Coproductions : GREC 2019 festival de Barcelona, Teatre Lliure de Barcelone, Théâtre Garonne — scène européenne, Espace Malraux — scène nationale Chambéry Savoie, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie, Pronomade(s) en Haute-Garonne, CNAR, L’Archipel, scène nationale de Perpignan, MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, CIRCa, Pôle National Cirque, Auch Gers Occitanie, Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique, le Parvis — scène nationale Tarbes-Pyrénées, Les Halles de Schaerbeek — Bruxelles, L’Estive — scène nationale de Foix et de l’Ariège, le Cirque Jules Verne — pôle national cirque, Amiens, Scène nationale d’Albi dans le cadre du soutien du FONDOC, Bonlieu, scène nationale d’Annecy, Communidad de Madrid (Teatros del Canal), Le domaine d’O (Montpellier 3M), Houdremont, scène conventionnée — La Courneuve, 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg – Cirque-Théâtre d’Elbeuf
Projet bénéficiaire du projet de coopération transfrontalière PYRENART, dans le cadre du programme Interreg V-A Espagne-France-Andorre POCTEFA 2014-2020 – Fonds Européen de Développement Régional (FEDER).
Accueils en résidence : CIRCa, PNC, Auch, Gers, Occitanie, Théâtre de la Cité — CDN Toulouse Occitanie, La Brèche, pôle national cirque à Cherbourg, Les Pronomade(s) en Haute-Garonne CNAR, Le Théâtre de Lorient, l’Avant-scène de Cognac et L’animal a l’esquena à Celrà.
Avec l’aide à la création de la DGCA, Ministère de la culture et de la communication, de la Generalitat de Catalunya, Institut Català de les Empreses Culturals, du Conseil départemental de la Haute-Garonne et de la Ville de Toulouse.
La compagnie est conventionnée par le Ministère de la culture et de la communication — Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Occitanie / Pyrénées – Méditerranée et la Région Occitanie / Pyrénées – Méditerranée.
Avec le soutien de la Generalitat de Catalunya, Institut Català de les Empreses Culturals pour le développement de ses projets 2018-2020.
Durée : 1h40
Du 27 au 2 juin 2021
ThéâtredelaCité avec le théâtre GaronneDu 17 juin au 19 juin
Théâtre National de Bordeaux en AquitaineDu 24 au 26 juin 2021
l’Empreinte scène nationale de Brive-TulleDu 2 au 4 juillet 2021
Le Maillon Strasbourg
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