La metteuse en scène colombienne Monica Mojica se penche sur le parcours et le combat de l’infectiologue Cécile Winter, qui s’est battue toute sa vie pour une meilleure prise en charge des personnes séropositives à l’hôpital. Un théâtre documentaire et sonore exécuté avec sensibilité, mais qui n’évite pas certains rapprochements maladroits.
Où débute l’humanité et où s’arrête-t-elle ? Dans la lutte médicale contre le sida au coeur des années 1980, des médecins démunis se posent la question. Dans leurs services, des patients décèdent par dizaines, les perspectives n’apparaissent pas, et les voilà confrontés à leurs propres limites, contraints de se contenter d’accompagner au mieux vers la mort. Ceux qui décèdent dans l’anonymat et que personne ne réclame, l’infectiologue et praticienne Cécile Winter se met en tête de leur offrir une sépulture. Après tout, même les éléphants veillent leurs morts.
Sa voix rauque et son franc-parler résonnent, tandis que défilent des images en noir et blanc de pachydermes évoluant dans la forêt ou près de rivières. Ce sont des extraits issus d’entretiens réalisés par la metteuse en scène Monica Mojica avec la praticienne au parcours déroutant : licenciée de philosophie et de chinois, d’abord ouvrière et syndicaliste, Cécile Winter se tourne ensuite vers une carrière médicale, « parce que ça, au moins, c’est un vrai métier », dit-elle. Inclassable, farouche et déterminée, l’infectiologue luttera toute sa carrière pour une meilleure considération des personnes séropositives dans son service, se battant pour y recueillir les patients les plus fragiles et marginalisés. Les extraits sonores des entretiens sont entrecoupés par les voix des cinq comédiens qui, au micro et accompagnés de bruitages, interprètent tour à tour les malades, qui oscillent entre humour et angoisse face à la maladie, et les soignants, désemparés face à l’épidémie.
À mi-chemin entre le théâtre documentaire – chacune des scènes interprétées est une anecdote réellement vécue par Cécile Winter – et la création sonore – la texture des voix et des bruitages est particulièrement soignée par le travail d’Alejandro Gomez Upegui et Bruno Langiano –, la proposition revient sur le parcours d’une femme aux prises avec les limites de sa profession, et qui se débat, malgré tout, pour faire advenir l’humanisme au cœur de la terreur. Avec son humour acéré et son verbe haut, Cécile Winter parle de la mort frontalement, se joue des conventions, innove et se révolte. Mais la subtilité du travail sur la voix et le son – qui permet d’évoquer les pires moments de la maladie avec pudeur et sensibilité – est malheureusement affaiblie par le lien maladroitement exécuté entre le combat de Cécile Winter et le continent africain. Car les images d’éléphants se substituent peu à peu à celles de femmes, d’hommes et d’enfants évoluant dans un village traditionnel. On se demande alors, pendant un long moment, ce qui unit le quotidien de Cécile Winter, qui se déroule à l’hôpital Tenon à Paris, puis à l’hôpital de Montreuil, et ces images, qui sont censées rendre hommage « à la mémoire des morts du sida en Afrique, continent ignoré par l’Occident pendant la pire pandémie de l’époque récente ».
Le lien est explicité à la fin, lorsque, dans les années 2000, des traitements satisfaisants contre l’infection par le VIH apparaissent en Europe et que Cécile Winter se mobilise pour un meilleur accès à ces traitements sur le territoire africain. Mais sans jamais explorer les spécificités de la propagation du virus en Afrique, sans en aborder les enjeux, sans interroger sa réalité matérielle, sinon depuis la France, le lien entre ces images et les scènes des hôpitaux franciliens peine à faire sens, voire gêne par sa maladresse. N’étant pas frontalement abordé, le sujet est ainsi contourné par l’artifice de la vidéo. Ce qui amoindrit la sensibilité, pourtant palpable, de la proposition.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Even Elephants Do It
Texte, mise en scène et scénographie Monica Mojica
Collaboration à l’écriture Antoine Voituriez, avec la complicité des comédien.ne.s
Avec Éléonore Lamothe, Rémi Oriogun-Willimas, Clara Rousselin, Cyprien Fiassé, Adam Migevant, et la voix de Cécile Winter
Composition musicale et son Alejandro Gomez Upegui
Lumières Tanguy Gauchet
Vidéo Jean-Baptiste Droulers
Coach bruitages Bruno Langiano
Assistanat à la mise en scène Antony Rodriguez
Régie Noémie ParreauxProduction Cie Horizontal – Vertical
Coproduction SOFRA
Avec le soutien de la SACDDurée : 1h35
La Reine Blanche, Paris
du 29 janvier au 3 mars 2025
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