À Théâtre Ouvert, le metteur en scène roumain Eugen Jebeleanu lève le voile sur son enfance imprégnée de danse sportive, et accouche d’une confession scénique aussi fragile que touchante.
Le Prix de l’or n’est assurément pas un spectacle comme les autres. À mi-chemin entre théâtre et danse, il fait partie de ces objets inclassables, fragiles mais touchants de sincérité, qui emportent à l’arraché en parvenant à tenir en équilibre sur le fil où ils n’ont cessé de cheminer. Cette confession scénique à l’assise autobiographique repose, pour l’essentiel, sur le passé d’un homme, Eugen Jebeleanu. Découvert en France grâce, notamment, à ses mises en scène des textes de Yann Verbugh – Ogres, Digital Natives, Itinéraires (un jour le monde changera), Rémission – l’artiste roumain, co-fondateur de la Compagnie des Ogres, s’est cette fois essayé à l’écriture, et plus particulièrement à l’écriture de soi, au récit de son enfance, toute entière façonnée par l’univers de la danse sportive dans lequel, dès son plus jeune âge, il s’est immergé.
Car, avant de se lancer dans l’art théâtral, le trentenaire, né dans la Roumanie de Nicolas Ceaușescu, a profité du vent de liberté qui, après l’effondrement du bloc communiste, soufflait sur son pays natal pour se consacrer à cette discipline, moins connue que d’autres en France, jusqu’à en devenir l’un des champions nationaux. Sur fond d’images d’archives personnelles, il déroule peu à peu la pelote de son histoire et lève le voile sur les coulisses, et les errements, d’un domaine particulièrement exigeant, où la violence psychologique, et même physique, était régulièrement de mise. De compétition en compétition, de médaille en médaille, Eugen Jebeleanu en profite également pour se livrer beaucoup plus intimement, sur la découverte de son homosexualité, sur sa peur cruelle de l’échec, sur son passé familial très lourd marqué par la dépression profonde de son père, puis par son décès. À ses yeux, alors, la danse n’était plus seulement un sport, mais un levier de cohésion, un moyen, de coupe rapportée en coupe rapportée, de se faire aimer, voire de sauver sa famille de la catastrophe annoncée.
Avec audace, l’auteur et metteur en scène a choisi d’interpréter son propre rôle. Sous haute pression, gorgée d’émotion, sa prestation ne manque pas de fragilités, tout comme le texte qui demanderait à être musclé pour donner plus d’ampleur et de force à ce récit de vie qui mérite d’être entendu. Et pourtant, quelque part, à travers ces confidences courageuses et sincères, la magie opère. De ces mêmes fragilités naissent une âme sensible et une envie de partager – grâce à une fructueuse séance de questions-réponses avec les spectateurs ou en leur apprenant quelques pas de cha-cha – mue par la volonté d’exorciser les douleurs du passé. Surtout, le spectacle profite de la présence d’un magnifique couple de danseurs roumains, Laura et Stefan Grigore. Loin d’être les faire-valoir d’Eugen Jebeleanu, ils apparaissent comme ses complices et partenaires. Au long des dix danses réglementaires – le tango, le slow fox, la valse lente, le cha-cha, la samba, le paso doble, le quickstep, la rumba, le jive et la valse viennoise – qu’ils exécutent avec panache, ils ouvrent peu à peu leur tandem pour lui faire une place et lui offrir la possibilité de dépasser le traumatisme de la mort de son père. À l’annonce de son décès, en février 2005, Eugen Jebeleanu avait immédiatement arrêté de danser. Il foule à nouveau le parquet aujourd’hui à Théâtre Ouvert, et prouve ainsi que le théâtre peut conjurer bien des maux.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Prix de l’or
Écriture et mise en scène Eugen Jebeleanu
Avec Eugen Jebeleanu et les danseur·se·s Stefan Grigore et Laura Grigore
Collaboration artistique Yann Verburgh
Chorégraphie Stefan Grigore, Laura Grigore
Assistanat à la mise en scène Ugo Léonard
Consultation dramaturgique Mihaela Michailov
Scénographie Vélica Panduru
Conception vidéo Elena Gageanu
Création lumière Sébastien LemarchandProduction Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines ; Centre du Théâtre Educationnel Replika ; Compagnie des Ogres
Coproduction La Halle aux grains – Scène nationale de Blois ; Maison de la Culture d’Amiens
Avec le soutien de l’Institut Français et la Ville de ParisDurée : 1h15
Théâtre de Vanves
les 5 et 6 juin 2024Théâtre Ouvert, Paris
du 10 au 20 juin 2024
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