Avec Et si tu danses, la chorégraphe Marion Lévy orchestre un spectacle rafraîchissant, aussi mélancolique que drôle à souhait qui tisse en une partition commune un texte tout en pirouette et poésie de Mariette Navarro à une gestuelle subtile et déliée qu’interprète avec grâce Stanislas Siwiorek. Et invite la figure du Petit Poucet à semer ses cailloux pour s’alléger. Un vrai bijou.
Il n’y a pas à dire, le secteur du jeune public est le terreau d’une création fraîche, vivante, dynamique et inventive, qui n’a rien à envier à son grand frère destiné aux grandes personnes que nous sommes. Et le spectacle de Marion Lévy, présenté actuellement dans l’Amphithéâtre Olivier Messiaen de l’Opéra Bastille, en est une preuve supplémentaire, l’émanation d’un soin porté à la transmission, d’une attention aux générations nouvelles, d’une démarche artistique entière qui n’abdique pas sur la qualité et sait tendre la main à la jeunesse (en l’occurrence ici les enfants dès 4 ans) tout en maintenant une ambition dramaturgique intacte. Créé dans le cadre du Festival Odyssées en Yvelines la saison dernière, Et si tu danses fait escale quelques dates dans les entrailles de l’opéra Bastille avant de poursuivre une jolie tournée printanière, comme si la vie de ce spectacle prenait son élan dans le souffle intrinsèque qui le porte. Aussi léger dans son dispositif scénographique que profond dans les thèmes qu’il charrie, ce solo hybride mariant théâtre et danse en harmonie est porté par la grâce de son interprète, Stanislas Siwiorek, par la sensibilité du texte qui l’habille (une perle signée Mariette Navarro), et la beauté du geste chorégraphique de Marion Lévy.
Il en faut peu pour faire paysage. Des pépiements d’oiseaux en bruit de fond, quelques cailloux à même le sol et ce jeune randonneur qui arrive depuis la salle, les mains dans les poches et les yeux rivés sur le dénivelé des escaliers qui le mènent à la scène. La magie opère d’emblée, nous plongeons avec lui dans l’imaginaire et nous sommes instantanément dans une clairière trouée de lumière au coeur d’une forêt où notre arpenteur de planète avance le dos courbé pour glaner un à un et délicatement chacune de ces pépites minérales qui tissent devant lui une ligne de conduite. Cette entrée en matière est déjà tout un programme, l’espace du plateau agrandi dans la sobriété d’une scénographie réduite à rien, à peine de “l’arte povera”, la frontière scène/salle abolie, danse et texte épuré jusqu’à la corde sans risquer pour autant l’austérité, le tout auréolé d’un très beau travail sur les lumières de Véronique Marsy tantôt chaudes et douces, à l’unisson de l’insouciance, tantôt bleutées dans un clair-obscur qui vient réveiller les peurs de l’enfance.
Seul en scène, Stanislas Siwiorek incarne une figure métaphorique et lointaine du Petit Poucet, un petit garçon devenu grand, qui s’envolait autrefois avec le vent, se perdait pour mieux se retrouver et de fugues involontaires en échappées solitaires, a cultivé le goût des pierres pour garder les pieds sur terre et des rêves pleins les poches. A la fois comédien et danseur, il se glisse dans sa double partition, textuelle et gestuelle, avec un mélange de légèreté et de gravité qui nous font naviguer de la mélancolie à l’hilarité en toute fluidité. L’écriture chorégraphique de Marion Lévy oscille comme le personnage entre deux âges (l’enfance et la maturité), deux états (la confiance et la peur), deux temporalités (le présent et les réminiscences du passé), tantôt ample et téméraire, jouant sur un entre-deux entre le mime et la danse qui tire au public un concert d’éclats de rire réjouissant, tantôt précise et subtile, faite de jeux de mains, de changements de direction rapides, de passages au sol et d’élans rebondissants. Et le paysage qui se déployait au début dans notre tête entre littéralement dans le corps du danseur, s’incarne dans ses déplacements, ses pleins et ses déliés, ses creux et ses courbes, ses accélérations et ses arrêts. Sa danse se fond dans les aléas tourbillonnants du vent qui l’entraîne aux quatre coins du plateau, elle se fait course sur place effrénée, enjambe les obstacles et se repose un temps sur un oreiller de cailloux. Puis repart de plus belle grâce à une interaction avec les enfants qui vaut son pesant d’or.
Dans une séquence à fleur de peau qui fait le parallèle entre les marques des pierres, leurs égratignures et aspérités, et les cicatrices accumulées dans l’existence comme autant de points d’entrée de la mémoire, notre Poucet adulte détaille ses stigmates, rescapés de ses chutes, bosses et blessures indélébiles, pour tracer une cartographie épidermique de ses souvenirs et invite la “forêt de visages” qui le regarde à lui livrer ses propres bobos. Attrapant au vol les confidences des enfants, il les transforme une à une en une chorégraphie finale de consolation improvisée qui soulève les âmes assemblées, sans distinction de génération. Et quand tous les enfants se lèvent en chœur pour le rejoindre et l’accompagner dans sa danse au rythme imparable de “Stand on the Word” des Joubert Singers, le défi est réussi, subtil et nuancé, tout en porosité.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Et si tu danses
Chorégraphie Marion Lévy
Texte et dramaturgie Mariette Navarro
Création lumière Véronique Marsy
Régie générale Margaux Capelier et Julien Nicol en alternance
Avec Stanislas Siwiorek
Production Compagnie Didascalie
Co-production Théâtre de Sartrouville-CDN
Spectacle créé dans le cadre d’Odyssées en Yvelines 2022, festival pour
l’enfance et la jeunesse conçu par le Théâtre de Sartrouville–CDN, en
partenariat avec le Conseil départemental des Yvelines
Avec le soutien de Grégoire and Co – LE LIEUA partir de 4 ans
Durée : 40 min2023
7 et 8 novembre
Espace Germinal – Fosse10 novembre
Espace Lucien Jean – Marly13 et 14 novembre
Festival international de danse – Cannes28 au 30 novembre
Les Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans3 au 5 décembre
Le Volcan, scène nationale du Havre6 au 8 décembre
Maison des Arts de Créteil10 au 13 décembre
Les petits devant les grands derrière, Poitiers2024
9 au 14 janvier
Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines15 au 18 janvier
L’Avant-Scène – Théâtre de Colombes21 au 23 janvier
Avranches30 janvier au 4 février
Maison de la Musique – Nanterre31 janvier au 3 février
La Soufflerie – Rezé1 et 2 mars
Points Communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise8 et 9 mars
Opéra de Lille11 au 17 mars
La Passerelle – Gap19 au 20 mars
Le trait d’union, scène culturelle Longueau/Glisy – Amiens22 au 23 mars
Festival Kidanse – Château-Thierry28 au 30 avril
Théâtre Jean Vilar – Suresnes20 au 21 mai
Théâtre de Chevilly-Larue13 au 17 mai
Côté Cour – Besançon et région22 au 25 mai
La Minoterie – Dijon27 au 30 mai
Côté Cour – Besançon et région
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