L’Estro armonico Op.3 est après Les Quatre saisons l’œuvre concertante la plus célèbre d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Alliant la fantaisie (« estro » signifie imagination) à l’harmonie en tant que système de composition, le titre de ce recueil de douze concerti pour un, deux, trois violons peut être interprété comme le désir d’associer l’extravagance aux principes conventionnels de l’écriture musicale. L’Estro armonico est en effet une partition audacieuse, presque soumise à la tyrannie du toujours plus, d’où la tentation d’appeler cette création : est-ce trop ?
En 1963, sur cette musique « survitaminée », le chorégraphe John Cranko (1927-1973) créa L’Estro armonico pour le Ballet de Stuttgart, dont il était le directeur artistique. Sans artifice, précis et diablement technique, cet ouvrage entrera au répertoire du Ballet Théâtre Français de Nancy en 1979. Dès l’année suivante, j’aurai l’occasion de l’interpréter un grand nombre de fois. Les difficultés imposées par la chorégraphie n’étaient pas simple à maîtriser, se lancer était parfois une épreuve, une sorte de chemin de croix. Un soir, en pleine ascension, incapable de dépassement, j’éclatais en sanglots. C’était trop ?
Comme tout auteur met de lui-même en plongeant dans sa propre existence, Estro en reprenant les trois concerti choisis par John Cranko, additionnées de fragments du Stabat Mater (RV 621) écrit par Vivaldi en 1712, fait souvenir de cette anecdote pour ensuite inventer. A l’origine, afin de marquer un désir d’élévation et traduire les efforts à accomplir pour parvenir au sommet d’une montagne, vue comme le lieu privilégié de la rencontre entre le ciel et la terre, sur une toute autre partition et comme une image symbolique, il était question d’utiliser les tabourets employés naguère dans certains ballets pour composer le bouquet de poses finales. Mais, le choix de Vivaldi et la raison spirituelle du Stabat Mater (La Mère se tenait debout), qui célèbre la compassion de la Vierge aux douleurs de son fils crucifié, ont conduit à lâcher cet artifice pour un autre : des lanternes bricolées dans des pots de peinture. Sans doute, mieux aurait valu se débarrasser du superflu, d’autant qu’en ouvrant à une joie intime, profonde, indéfinissable, la musique de Vivaldi permet d’approcher les cimes de l’être. Mais comme l’écrit le dominicain André Lendger (1929-2005), aumônier des artistes, qui dans les années 70 exerça aussi son ministère auprès du monde de la nuit : « Il est plus facile aujourd’hui de gravir un sommet de 8 000 mètres que de monter de quelques centimètres à l’intérieur de soi. »
Note d’intention de Thierry Malandain
Estro
Chorégraphie Thierry Malandain
Musique Antonio Vivaldi
Conception lumière Jean-Claude Asquié
Réalisation costumes Karine Prins
Coproduction : Teatro Victoria Eugenia San Sebastián – Ballet T, Opéra de Reims, Centre Chorégraphique National d’Aquitaine en Pyrénées Atlantiques
Estro et Nocturnes, les deux nouvelles pièces de Thierry Malandain en une soirée,
À Donostia-San Sebastian les samedi 8 et dimanche 9 novembre à 20h
A Reims le samedi 15 novembre à 20h30 et le dimanche 16 à 14h30
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