Dans Entre, Vincent Berhault fait appel à des arts et à des registres multiples pour aborder la notion de frontière. Pour approcher avec subtilité la figure du migrant, et questionner la légitimité des œuvres et discours dont elle est l’objet. À commencer par les siens.
Dans une semi-pénombre, se dessine un espace provisoire. Un lieu fait pour l’attente. Des barrières de sécurité flexibles, deux rangées de chaises en plastique et de grands panneaux verticaux, sortes de miroirs sans tain… Tandis que le compositeur et musicien Benjamin Colin commence à œuvrer derrière une régie à vue, quelques objets suffisent à planter le cadre du spectacle : un aéroport. Le Terminal 1 de Roissy peut-être, où l’Iranien Merhan Karimi Nasseri est resté enfermé 16 ans dans l’attente du règlement de sa situation administrative, ou n’importe quel autre lieu de départ vers l’ailleurs. N’importe quel entre-deux pays. Dans Entre de Vincent Berhault, le concret cohabite avec son contraire. Tout comme le théâtre et le cirque fraient avec la danse et la musique. L’absurde avec l’analyse.
Chacun avec son bagage – valise ou instrument de musique, selon les cas – , Barthélémy Goutet, Grégory Kamoun, Xavier Kim et Toma Roche qui partagent le plateau avec Benjamin Colin incarnent différentes postures d’attente. Différentes manières de trouver un équilibre dans l’espace hybride qui leur est imparti, et d’en faire une métaphore des politiques migratoires. De ses violences et de ses mécanismes obscurs, kafkaïens. Car si Vincent Berhault est anthropologue de formation, et que le chercheur Cédric Parizot, dont les travaux portent entre autres sur les mutations des frontières au XXIème siècle, a participé à l’écriture du spectacle, Entre n’a comme prétention documentaire que celle de traduire la précarité du migrant. Sa fragilité. Et le trouble, l’intranquillité de l’artiste sensible à son errance.
Vincent Berhault affirme d’emblée son refus d’ajouter un discours à ceux qui saturent les médias. Après une chorégraphie burlesque avec valises et violon, les quatre comédiens et circassiens se livrent à une succession de tableaux vivants aux formes et propos si variés qu’ils échappent à toute tentative d’interprétation trop classique. Trop rationnelle. Tantôt théâtrales, tantôt acrobatiques, parfois musicales aussi, des scènes consacrées au parcours de Merhan Karimi Nasseri côtoient des fragments sur le contrôle des frontières aux formes tout aussi hétérogènes. Avec bonheur, Entre va ainsi bien au-delà de la simple critique à charge des politiques européennes à laquelle se livrent déjà d’assez nombreux artistes. Notamment vers un questionnement du geste artistique.
Une fouille cruelle et grotesque, un exposé anthropologique sur une table sans pieds, une séance délirante d’entraînement à la reconduction aux frontières… Traitées sur un mode comique, non sans grincements bien sûr, ces scènes sont pour Vincent Berhault autant de façons d’interroger la capacité de l’art à dire quelque chose du sujet qui l’intéresse depuis sa création en 2015 avec Cédric Parizot de la « conférence décalée » Chroniques de la frontière. Et, plus largement, du réel. Comment dire sans la trahir une figure qui, comme le circassien, se définit malgré elle par son instabilité ? Par sa fuite ? Avec sa riche mosaïque toute en contrastes, Vincent Berhault se pose les bonnes questions. Et les partage avec grâce.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Entre
De Vincent Berhault
Une partie de l’écriture du spectacle résulte d’une recherche au plateau, les interprètes sont donc tous également inscrits comme auteurs au répertoire.
Contribution à l’écriture : Cédric Parizot – Anthropologue du politique
Metteur en scène : Vincent Berhault
Jeu : Barthélémy Goutet, Benjamin Colin, Grégory Kamoun, Toma Roche, Xavier Kim
Musique : Benjamin Colin
Lumière : Benoit Aubry
Costumes : Barthélémy Goutet
Construction décor : Plug In Circus
Site internet de la compagnie : cielessinguliers.wordpress.com
Production : Cie les Singuliers
Accompagnement production : ASIN
Accompagnement diffusion : MYND ProductionsCoproductions : Théâtre d’Arles, scène conventionnée art et création pour les nouvelles écritures / Cie 36 du mois – Cirque 360 (Fresnes) / Pôle National des Arts du Cirque de la Verrerie (Alès) / l’Espace Périphérique de la Villette (Paris).
Accueils en résidence Théâtre L’Échangeur (Bagnolet) / 2R2C (Paris) / CIAM Centre International des Arts et du Mouvement (Aix-en-Provence) / Le pOlau Pôle des Arts urbains (St Pierre des Corps) / Le vent se lève (Pantin) / Atelier du plateau (Paris) / Académie Fratellini (Saint-Denis) / l’Espace Périphérique de la Villette Paris / Monfort Théâtre (Paris) / Cie 36 du mois – Cirque 360 (Fresnes) / Pôle National des Arts du Cirque de la Verrerie (Alès) / Théâtre d’Arles, scène conventionnée art et création pour les nouvelles écritures.Soutiens et Subventions : DRAC Île-de-France, aide à la production dramatique / DGCA, aide à la création pour les Arts du Cirque / Région Île-de-France, aide au projet / ADAMI et SPEDIDAM, aides à la création / Ville de Paris, aide à la diffusion / SACD, Processus Cirque / Institut de Recherche et d’Étude sur le Monde Arabe et Musulman, UMR7310 (Aix Marseille Université, CNRS) / Institut d’Études Avancées (IMéRA) d’Aix Marseille Université.
Co-réalisation Théâtre L’Échangeur – Cie Public ChériDurée : 1h15
Théâtre de l’Echangeur – Bagnolet
Du 16 au 20 octobre 2018
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