« Malkovich go home » : à Sofia, des manifestants nationalistes s’insurgent contre L’Homme et les armes de George Bernard Shaw, mise en scène par l’acteur américain John Malkovich, accusé de « ridiculiser » les héros de l’armée bulgare.
Drapeaux, chants patriotiques, insultes : la première au théâtre national de Sofia la semaine dernière de L’Homme et les armes de George Bernard Shaw, mise en scène par John Malkovitch, a été prise d’assaut par des centaines de protestataires, qui ont frappé le directeur et plusieurs personnalités tout en empêchant le public d’entrer.
« Cette pièce est une honte et doit être interdite, elle se moque de nos ancêtres qui ont péri pour la Bulgarie », lance l’étudiante Yoana Ilieva, 21 ans, aux côtés d’une foule en colère. Après la performance jouée devant une salle quasi vide, John Malkovich s’est étonné de cette réaction. « Le monde vit des temps étranges où les désirs de censure sont de plus en plus forts », a-t-il commenté dans un triste sourire.
« Attirer l’attention »
L’Homme et les armes de l’écrivain irlandais George Bernard Shaw aborde sur le ton de l’humour la guerre serbo-bulgare de la fin du XIXe siècle, en forme de critique du militarisme et de l’héroïsation des combattants bulgares. C’est « une pièce légère, amusante que j’avais déjà mise en scène en 1985 à Broadway », explique la star américaine, trouvant « dangereusement naïve » l’idée de rechercher l’authenticité historique dans une pièce de théâtre.
« Je suis sûr et certain que je n’ai jamais insulté » aucun des 47 pays où j’ai travaillé, insiste le septuagénaire, crâne nu et fine moustache grisonnante. « En réalité, je pense que ce n’est pas la pièce qui pose problème ni même ma personne. Je ne suis qu’un rouage qui sert à attirer l’attention sur eux. »
Dans une Bulgarie secouée depuis 2021 par une crise politique sans précédent, les mouvements nationalistes prospèrent sur fond de désinformation prorusse. Pour le parti ultranationaliste Vazrajdane, troisième force parlementaire, « la pièce est médiocre » et la mise en scène « absolument inadéquate ». « La place de telles oeuvres n’est pas en Bulgarie », a renchéri l’Union des écrivains, offusquée par « la ridiculisation des milliers de soldats tombés sur le front pour la liberté et la réunification de la patrie ».
« Entraver la liberté d’expression »
Si la pièce a déjà suscité des protestations dans la première partie du XXe siècle, elle avait été jouée en 2000 en Bulgarie sans provoquer de telles réactions outrées, se souvient le metteur en scène de l’époque, Nikolay Polyakov. « Le climat actuel est beaucoup plus tendu, les passions déchaînées, la haine attisée contre tout ce qui est occidental et américain », assure-t-il.
Tandis que le parquet a ouvert une enquête sur les instigateurs des violences, le théâtre de Sofia a reçu le soutien de plusieurs associations européennes, dont la Convention du théâtre européen (ETC) qui pointe « la tendance inquiétante des groupes d’extrême droite à travers l’Europe à vouloir entraver la liberté d’expression ».
Dans le public, Nikolay Hristov, un architecte de 66 ans, n’a « rien vu d’anti-bulgare » dans une comédie qui « porte plutôt sur l’amour et des histoires d’honneur ». « Comme tous les Bulgares de mon âge, j’ai servi dans l’armée et je ne me sens pas du tout insulté par le texte. Bien au contraire », confie-t-il.
Vessela Sergueva © Agence France-Presse
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