C’est au Théâtre du Chariot, nouvellement implanté à deux pas de la place de la Nation, que se joue actuellement le triptyque de la compagnie Les EduLs, constitué de trois spectacles visibles indépendamment les uns des autres : Atypiques, Ma Fille ne joue pas et Cabane. Un projet autour de l’autisme qui défie nos normes absurdes et étroites pour mieux nous rassembler dans la richesse de nos différences.
Théâtre mouchoir de poche du 11e arrondissement de Paris, la Comédie-Nation a cédé sa place au tout nouveau Théâtre du Chariot, inauguré en septembre dernier et porté par un collectif de sept artistes. Changement de charte graphique (rafraîchie et rajeunie), ouverture d’un foyer dans le hall d’entrée auparavant très étriqué, Le Chariot est le fruit d’un passage de relais réussi entre son ancienne directrice Pascaline Garnot et la comédienne Sarah Horoks, qui a accepté le défi de reprendre le lieu à condition d’être accompagnée. Le Chariot est donc le fruit d’une histoire de confiance et d’amitié, de transmission et de partage, puisque, dans cette équipe de sang neuf, certain⸱es y menaient déjà des ateliers de pratiques artistiques.
Alexandra d’Herouville, l’une des sept, en parle avec l’ardeur des passionnés : « Nous avons maintenu les cours et la vie pédagogique. Que le lieu reste animé en dehors des représentations est une dimension importante pour nous. Nous gardons aussi son orientation jeune public avec une programmation exigeante et profonde ». Le triptyque de la Compagnie les EduLs en est un vibrant témoignage. Autre membre de cette codirection inédite, Alice de Lencquesaing ajoute : « On expérimente la possibilité de faire les choses à plusieurs dans une horizontalité. On aimerait que le lieu soit un refuge, accueillir des artistes de tous horizons, offrir un espace de liberté ». Et Alexandra d’Herouville de renchérir : « La richesse du collectif, c’est qu’il est porté par des valeurs communes autant que par nos différences. En tant qu’artistes, on accueille les compagnies invitées avec la capacité de nous mettre à leur place. Et notre but, c’est que tout le monde se sente bien ».
Le Théâtre du Chariot porte le nom de la septième carte du tarot, celle de la mise en mouvement, de la mise en œuvre de projets, mais c’est aussi l’autre appellation de la Grande Ourse. Une histoire de constellation et d’arborescence qui s’invente à plusieurs. Le mois d’ouverture est exclusivement féminin – « Un hasard », nous avoue Alexandra d’Herouville –, et c’est dans ce trimestre de lancement que prend place le triptyque, intitulé Nous autres, signé Emma Pasquer, dont chaque volet peut se voir en toute indépendance. Trois petites formes réflexives et ludiques accompagnées d’une exposition de photographies et d’un podcast autour de l’autisme, de nos différences, de l’injonction généralisée à la normativité. Trois bijoux de sensibilité et d’intelligence destinés à être joués tout autant dans des théâtres que dans des lieux non dédiés, en milieu scolaire en particulier. « C’est un projet rêvé pour aller vers, nous glisse la metteuse en scène entre deux représentations. Aller à la rencontre des publics et favoriser un partage d’expériences ».
Sincérité bouleversante
Cabane, troisième volet programmé en journée, s’adresse au jeune public dès six ans – il a d’ailleurs été conçu dans le cadre d’une résidence en école primaire en lien direct avec les enfants, partie prenante du processus de création. Interprété avec un allant généreux par Clémence Viandier, qui insuffle à ce solo la dynamique d’un duo, Cabane raconte une rencontre balbutiante et chaotique entre une petite fille et un enfant autiste. On y suit pas à pas, en avant ou à reculons, les étapes de rapprochement et la naissance du lien qui se tisse au-delà des difficultés, des différences, des incompréhensions. Tout le spectacle semble mu par ce désir puissant de découvrir l’autre qui se cache, échappe, s’apprivoise. Symbolisé par une cabane sur pilotis tapissée de Kaplas, l’enfant autiste ne parle pas et pourtant il est là, interagit et réagit, et c’est bien une amitié qui se noue dans ce décor vivant parcouru d’émotions tous azimuts.
En soirée, on peut assister dans la foulée à Atypiques, qui avait gagné le prix du Jury lycéen dans le cadre du festival Une Petite Part en 2023, et à Ma Fille ne joue pas, deux formes tout public, dès dix ans, qui entretiennent une dimension interactive avec les spectateur⸱ices, et embrassent nos différences pour mieux les chérir. Nés de l’expérience personnelle de la metteuse en scène – le frère d’Emma Pasquer est autiste –, ces deux spectacles interrogent le mystère de ce spectre encore énigmatique et le poids des normes, la blessure des mots inappropriés, inadaptés, qui enferment et stigmatisent. Pour Atypiques, le décor est simple et fait office de concept en lui-même qui définit toute la dramaturgie du spectacle. Des morceaux de mots découpés en préfixes, suffixes, radicaux, sont disposés sur une structure légère en forme de paravent. À partir de ce dispositif, Emma Pasquer propose une danse du langage, invente une gestuelle pour chaque mot, et son corps en mouvement donne à la langue une résonance singulière. Comme si, en associant le verbe au geste, le sens des mots s’éclairait d’un jour nouveau. Comment définir son frère pas comme les autres ? Comment entrer en contact avec lui quand notre unique moyen de communication passe par la parole ? Comment être la grande sœur d’un petit frère littéralement extra-ordinaire ?
Dans Ma Fille ne joue pas, Emma Pasquer dira « je passais mon temps à m’adapter », questionnant depuis son propre rapport au monde sa propre différence. Dans ce volet, elle pousse le curseur de l’intime jusqu’à se prendre elle-même comme point de départ réflexif et analytique. Les mots, comme toujours, y ont une place de prédilection, mais sa danse s’amplifie, s’élargit, se déploie dans l’espace et y trace un chemin initiatique et identitaire. Avec ce triptyque en clair-obscur, ciselé, précis, habité d’une sincérité bouleversante et d’une générosité évidente, Emma Pasquer met son art au service d’un enjeu de société et d’humanité plus essentiel qu’il n’y paraît. Car, au-delà de l’autisme, étiquette comme une autre, limitante et entravante, c’est tout l’éventail de nos altérités qu’elle interroge, notre usage des mots et notre rapport aux autres.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Cabane
Texte Claire Besuelle, Emma Pasquer, Clémence Viandier
Mise en scène Emma Pasquer
Jeu Clémence Viandier
Dramaturgie Claire Besuelle
Création musicale François Merlin
Scénographie Cerise Guyon et Anaëlle Rosich
Collaboration artistique Romain Pasquer
Création lumière Lucille Vermeulen
Régie Lucille Vermeulen, en alternance avec Anaëlle Rosich, Emma PasquerProduction Cie Les EduLs
Coproduction Ville des Lilas (avec le soutien du département de la Seine Saint-Denis), Théâtre de l’Usine à Éragny-sur-Oise, L’Envolée à Val Briard, Collectif Scènes 77
Avec le soutien de la Région Île-de-France, du département de la Seine-et-Marne, de la ville de Paris, de la Spedidam, de Lilas en Scène, d’Anis Gras – le lieu de l’AutreDurée : 40 minutes
À partir de 6 ansThéâtre du Chariot, Paris
du 17 au 26 octobre 2024Théâtre La Caravelle, Meaux, dans le cadre du festival IMAGO
les 6 et 7 novembreCentre culturel Marc Brinon, Saint-Thibault-des-Vignes, dans le cadre du festival IMAGO
le 27 novembreChapiteaux Turbulents, Paris
le 14 mars 2025
Atypiques
de et avec Emma Pasquer
Dramaturgie et co-écriture Claire Besuelle
Création musicale François Merlin
Scénographie Cerise Guyon
Régie Mathilde Dien, en alternance avec Lucille Vermeulen, Anaëlle RosichProduction Compagnie Les EduLs
Coproduction Ville des Lilas (avec le soutien du département de Seine Saint-Denis), Lilas en Scène, Ateliers Médicis
Avec le soutien de la fondation Philippe Sibieude, sous l’égide de la fondation John Bost, de la DRAC Île de France (via Lilas en Scène au titre de l’aide à la résidence), de la Région Île-de-France (au titre de l’aide à la diffusion), du Conseil départemental du Val d’Oise, du Conseil départemental de la Seine Saint-Denis, de la Ville des Lilas, de la Ville de Cormeilles-en-Parisis, de Lilas en Scène, des Ateliers Médicis, du théâtre de l’Usine à Éragny, d’Anis Gras – le lieu de l’Autre, de l’Échangeur de Bagnolet, de la ville de Paris (au titre de l’aide à la diffusion)Durée : 50 minutes (version plateau) / 40 minutes (hors-les-murs)
À partir de 10 ansThéâtre du Chariot, Paris
du 17 au 27 octobre 2024Médiathèque de Dourdan
le 23 novembreLycée de Chelles
le 26 novembreMédiathèque de Meudon
le 6 décembreLycée Dumézil, Vernon
du 9 au 20 décembreMédiathèque de Melun
le 5 février 2025
Ma Fille ne joue pas
de et avec Emma Pasquer
Dramaturgie et regard extérieur Claire Besuelle
Création musicale François Merlin
Scénographie Cerise Guyon
Création lumière Florent Jacob
Régie Lucille VermeulenProduction Cie Les EduLs
Avec le soutien de la DRAC Île de France, de la Région Île de France, du Conseil départemental du Val d’Oise, du Conseil départemental de la Seine Saint-Denis, de la Ville des Lilas, de la Ville de Cormeilles-en-Parisis, de l’association Beaumarchais-SACD, de Lilas en Scène, des Ateliers Médicis, du théâtre de l’Usine à Éragny, d’Anis Gras – le lieu de l’Autre, de l’Échangeur de Bagnolet, du Collectif Scènes 77, d’Un Lieu pour Respirer aux Lilas et de la fondation Philippe Sibieude sous l’égide de la fondation John BostDurée : 1h
À partir de 12 ansThéâtre du Chariot, Paris
du 17 au 20 octobre 2024Théâtre de Chelles
le 3 décembre
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