Avec sa dernière création, Émilie Flacher tente de réhabiliter la marionnette à gaine en la faisant parler d’un sujet d’aujourd’hui : les nouvelles technologies. Faute de vraiment travailler l’écart entre un dispositif traditionnel et les petites fictions peuplées de robots et de créatures mutantes écrites par Gwendoline Soublin, l’expérience demeure hélas à la surface du bousculement des formes et de la pensée qu’elle promet.
Depuis qu’ils sont engagés sur la voie de leur reconnaissance institutionnelle et artistique, il y a quelques décennies, les acteurs des arts de la marionnette ont eu tendance à délaisser les formes traditionnelles de leur discipline. Alors qu’au rythme de la structuration de ce champ du spectacle vivant, se multiplient ses croisements avec d’autres arts qui lui permettent d’intégrer peu à peu le réseau de lieux généralistes, les castelets et leurs fameux Polichinelles et Guignols subissent le désamour du milieu professionnel. Ces héros survivent surtout dans les théâtres itinérants et dans l’imaginaire collectif, qui continue de les associer à une expression pourtant devenue protéiforme. Faut-il alors continuer d’œuvrer à la disparition des excentriques protagonistes et de leurs scènes de fortune, ou au contraire faire le pari que ces derniers peuvent eux aussi participer à l’évolution des arts de la marionnette ? De même qu’au théâtre, où des compagnies d’aujourd’hui voient dans l’usage du tréteau une façon idéale de retrouver le sens de leur métier, la marionnette peut gagner à revenir à ses fondements. Tel est l’avis d’Émilie Flacher qui, pour la première fois depuis la naissance de sa compagnie Arnica en 1998, inscrit son geste dans une forme marionnettique ancienne avec Castelet is not dead. Vraiment ?
Lorsque surgissent sur le plateau d’un castelet de jardin, réduit à une simple estrade rouge, les deux premiers pantins de cette nouvelle création, la référence contenue dans le titre apparaît. Faites du même bois, de la même gaine que leurs ancêtres cités plus tôt, ces créatures s’en distinguent par leur mise : crêtées, le visage recouvert d’une tête de mort et vêtues de cuir, elles sont punks. Comme longtemps avant eux le groupe britannique The Exploited, qui venait contredire l’affirmation contraire alors en vogue avec leur titre Punks Not Dead (1981), les bonhommes d’Émilie Flacher viennent crier la persistance du mouvement de rébellion, d’anticonformisme qu’ils incarnent. Et surtout, ils semblent là pour prouver ce qu’affirme le titre. Ils ne tardent pourtant pas à s’éclipser, pour ne revenir plus tard qu’à quelques reprises, se calant dans les interstices de la pièce dont ils paraissent, sans que cela soit très clair, être les narrateurs. Les trois courtes parties qui composent ce spectacle destiné à un public familial n’ont rien à voir avec le punk. Dans des registres très différents, elles mettent en scène des individus en prise avec les nouvelles technologies, dans une optique très explicitement critique. Hélas, les trois chemins narratifs qu’elle emprunte successivement sont trop rapidement tracés pour permettre une approche singulière d’un sujet très largement traité. Si le punk n’est pas mort, son énergie n’irrigue pas cette création, qui échoue ainsi à prouver la vitalité de la marionnette rivée à son castelet.
On a d’abord un groupe de personnes malheureuses de leur sort qui, consultant une sorte de gourou doué de superpouvoirs d’hybridation, se retrouvent très vite transformées en absurdes créatures mutantes. Celles-ci laissent place à un Polichinelle et à un Godzilla dont les échanges sont soi-disant déterminés par une IA connectée aux désirs du public, puis à une famille soumise aux injonctions permanentes de son robot domestique. Comme Émilie Flacher en a pris l’habitude depuis quelques années, dans l’idée de contribuer au renouveau des écritures pour la marionnette, ce texte fragmentaire est le fruit d’une commande passée à une autrice contemporaine, Gwendoline Soublin. Bien que familière de cet exercice – elle est notamment l’autrice de deux autres textes de spectacles au répertoire d’Arnica –, l’autrice produit ici une matière qui se prête peu à une exploration profonde de la marionnette à gaine, de ce qu’elle seule permet. Dans Castelet is not dead, cette recherche se cantonne surtout aux espaces qui séparent les trois fictions. Non seulement c’est là que sont lâchés les punks, mais c’est aussi ici qu’est esquissée la seule vraie infraction aux principes du castelet, sous la forme d’une grève des marionnettistes, qui sortent alors de leur cachette pour défendre leur métier compromis par l’IA.
Bien que théâtralement faible, ce passage révèle ce qui manque par ailleurs : une interrogation du dispositif théâtral utilisé, et un jeu sur la distance entre son côté bricolé – « do it yourself », pour faire punk – et les nouvelles technologies. Alain Recoing, l’un des maîtres d’Émilie Flacher, allait déjà plus loin en son temps en matière de recherche formelle avec son « castelet éclaté » ; de même qu’à partir de 1995, et jusqu’à aujourd’hui, une autre des artistes importantes dans la formation de la marionnettiste, Émilie Valantin, avec ses pièces de castelets de jardin. Pour qui les connaît, ces démarches pèsent sur Castelet is not dead, qui manque aussi de héros dignes de succéder à Guignol, Polichinelle et Pinocchio. Versions simplifiées, naïves, de figures qui peuplent cinéma et roman, les protagonistes de ce spectacle font pâle figure par rapport à celles qui habitent d’autres créations d’Arnica, comme Buffles (2019), mise en scène du texte éponyme du Catalan Pau Miró, ou, plus tôt, la trilogie autour du lien France-Algérie, Écris-moi un mouton (2012-2014). De quoi avoir envie de dire : Arnica is not dead.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Castelet is not dead
Écriture Gwendoline Soublin (Texte édité chez Espace 34)
Mise en scène Emilie Flacher
Avec Guillaume Clausse, Virginie Gaillard, Cristof Hanon
Scénographie Castelet de la Cie Emilie Valantin / Nicolas Valantin
Régie Générale Pierre Josserand
Création des marionnettes Florie Bel, Émilie FlacherProduction Compagnie ARNICA
Durée : 50 minutes
Vu le 21 septembre 2024 dans le cadre du festival Play Mobil du Théâtre de Châtillon
Théâtre Massalia, Marseille
les 12 et 13 octobreThéâtre Joliette, Marseille
du 16 au 19 octobreLe MUCEM, Marseille
le 21 octobreComédie de Valence – CDN Drôme Ardèche
du 4 au 29 novembreThéâtre Le Bordeau, Saint-Genis-Pouilly
le 13 décembreThéâtre Le Périscope, Nîmes
les 16 et 17 mai 2025Théâtre des Marionnettes, Genève
du 23 au 25 maiMaison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains
les 4 et 5 juinPIVO – Scène conventionnée art en territoire, Val d’Oise
du 9 au 14 juinScène nationale de Bourg-en-Bresse
du 3 au 5 juillet
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