Bien que l’imaginaire collectif rende grâce au conte, la lecture approfondie de l’œuvre nous met face à une autre évidence : nous sommes devant un anti-conte qui laisse un arrière-goût de canular. L’œuvre d’Andersen ne correspond en aucun cas au schéma classique du conte. Le héros-prince a effectivement une mission, mais cette mission est absurde : le prince cherche une vraie princesse, mais à aucun moment Andersen ne définit ce qu’est une « vraie » princesse. Le protagoniste veut plus que tout quelque chose qui n’a pas de critères, pas de contours.
De plus, le prince n’a ni adjuvant (parrain, animal, objet magique) pour lui venir en aide ni opposant (ogre, sorcière, dragon) à combattre : il n’a pour ennemi que son insatisfaction. Il ne trouve au bout de son chemin aucune réponse, c’est la solitude et l’abattement qui dominent alors. Incapable de trouver la vraie princesse, il tombe dans la passivité, la mélancolie, faisant de lui un anti-héros.
L’inversion des valeurs du conte atteint son apogée avec la résolution : la princesse au petit pois arrive alors à lui dans un état épouvantable, méconnaissable en tant que princesse, et c’est la reine mère qui entreprend l’acte héroïque du conte en découvrant la vraie princesse grâce à un procédé absurde et avilissant : « …puisque, à travers vingt matelas et vingt édredons, elle avait senti le petit pois. Personne ne pouvait avoir l’épiderme aussi délicat, sinon une véritable princesse. »
Le petit pois devient ainsi le héros du conte en révélant le vrai. Bien loin d’être un objet merveilleux, le petit pois, simple légumineuse, atteste la noblesse de la princesse en la blessant et assure la pérennité de l’ordre monarchique. Cet ordre est ainsi rétabli dans la douleur. Cette œuvre critique aussi le fantasme d’une pureté royale selon laquelle des êtres valent mieux que d’autres. Les personnages d’Andersen en deviennent paranoïaques : tout est toujours remis en question au nom du vrai, la peur de l’usurpation royale rôde « surtout si l’on est aveugle et que les escrocs sont habiles » (cf. Les Habits neufs de l’empereur). Ce climat est renforcé par la répétition obsessionnelle du mot « vrai ». À force d’entendre ces quatre lettres, elles ne signifient plus rien.
La Princesse au petit pois
D’après Hans Christian Andersen
Adaptation Antoine Guémy, Édouard Signolet et Elsa Tauveron
mise en scène Édouard Signolet
Avec
Elsa LEPOIVRE la Reine I Georgia SCALLIET la Princesse I Jérémy LOPEZ le Prince I Elliot JENICOT le Roi
POUR LA PREMIÈRE FOIS À LA COMÉDIE-FRANÇAISE
Scénographie Dominique Schmitt I Lumières Éric Dumas I Costumes Laurianne Scimemi
Assistante à la mise en scène Elsa Tauveron
Spectacle tout public à partir de 8 ans
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Du 21 novembre au 5 janvier 2014
du mercredi au dimanche à 18h30.
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