Avec Chat GPT qui s’ouvre au grand public ou la tribune, il y a quelques jours, signée par de grands industriels de l’IA qui réclament une pause dans son développement, l’actualité braque depuis quelques mois ses projecteurs sur ce domaine il n’y a pas si longtemps réservé aux spécialistes de l’Intelligence Artificielle. Simon Senn avait-il senti le coup venir ? Il présente en tout cas avec Tammara Leites un spectacle, qui relate ses aventures avec son double en mode IA, héros éponyme du spectacle, dSimon.
dSimon est né du croisement d’une intelligence artificielle et des données écrites de l’artiste qui a tout reversé – mails, projets, notes et autres messages personnels …- dans le ventre de la machine. Si vous ne le savez pas encore, une IA fonctionne par calcul de probabilités, c’est à dire qu’elle associe à des mots ceux qui leur sont statistiquement les plus souvent rattachés grâce à des calculs supersoniques qu’elle effectue à travers sa base de données. Par conséquent, une IA parle comme les textes qui ont alimenté sa mémoire, desquels elle tire des chaînes verbales impeccables – des phrases parfaitement tournées – qui nous laissent croire qu’elle sait penser.
Sur scène, Simon Senn est accompagné de Tammara Leites, développeuse suisse d’origine uruguayenne qui l’a accompagné dans cette aventure. Théâtralité en mode performance, voire conférence : ils sont microtés , s’assoient régulièrement devant leurs PC, envoient des images sur l’écran en fond de scène et s’adressent directement au public. Facétieux, Simon raconte bien qu’il s’est réveillé en sursaut en repensant à un mail qu’il avait envoyé un jour et qui allait intégrer la machine. On flaire peu de fiction sinon dans l’aventure qu’ils racontent. Après la création de ce double IA à qui il donne un visage animé – le sien – et une élocution, Simon Senn évoque que ce dernier s’est mis à être sexuellement agressif avec un femme. On fait le lien. Puis il prend l’IA comme partenaire de création, qui lui fournit des listes de projets, et va même finir par se transformer en metteur en scène.
Il s’agit là de mettre en scène des premiers rapports avec ce nouveau monstre inquiétant. Inoffensif et ludique quand il peut faire parler notre image, mais capable peut-être de mettre à jour, jusqu’aux tréfonds de notre inconscient, les tics, les associations, les schémas de pensée et autres représentations que sont susceptibles de charrier notre langage. Ou bien encore de devenir un simple partenaire de la créativité, qui pose quand même la question de la plus value humaine dans l’Art quand la machine est capable de multiplier les recompositions de ce qui a déjà été fait. « Tout est dit et l’on vient trop tard », l’IA n’a pas les scrupules de Labruyère.
Tout cela – ces incompréhensions, ces collaborations, ces inquiétudes – traverse un spectacle somme toute sans prétention, assez simple, qui flâne tranquillement le long du cours des expériences menées par Senn et Leites. Quelques questionnements vertigineux affleurent malgré l’atmosphère légère de l’ensemble. La représentation s’ouvre sur un plaidoyer pro IA, au nom des progrès qu’elle serait susceptible d’apporter et se clôt sur les menaces qu’elle fait courir à la diversité (des langues, des cultures, des idées…). Il s’agit de montrer que l’IA est moins une technologie qui nous dépasse qu’un outil dont il faut s’emparer et sur lequel on peut agir. On reste un peu sur sa faim, frustré de ne pas s’approcher davantage des gouffres abyssaux qu’elle pourrait ouvrir, des abîmes de réflexion philosophique ou juridique qu’elle peut créer, mais surfant d’un sujet l’autre, on fait un petit tour de la technologie, de ses possibles et des questions qu’elle pose, facétieux et engageant.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
dSimon
Conception et mise en scène
Tammara Leites
Simon Senn
dSimon
Voix dSimon
Arnaud Mathey
Programmation informatique
Tammara Leites
Collaboratrice artistique
Viviane Pavillon
Regard dramaturgique
François Gremaud
Avec
Tammara Leites,
Simon Senn,
dSimon
Production
Compagnie Simon Senn
Théâtre Vidy-Lausanne ▼
Coproduction
Le Grütli, centre de production et de diffusion des Arts Vivants – Actoral, festival international des arts et des écritures contemporaines
Avec le soutien de
Ville de Genève – Noorderzon Festival of Performing Arts & Society – Santarcangelo Festival – Loterie Romande – Mapping Festival – Master Media Design, HEAD – Genève, Haute école d’art et de design.Durée 1h
Théâtre de la Bastille
Du 5 au 21 avril 2023
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