Au Théâtre du Train Bleu, à Avignon, la comédienne incarne avec justesse et puissance une jeune prostituée transgenre.
Il suffit parfois d’une seule personne pour éveiller en soi la joie du théâtre. Au Théâtre du Train Bleu, à Avignon, Marion Lambert incarne les jours impairs une femme transgenre au destin tragique. En une petite heure seulement, la comédienne insuffle tout ce qu’il faut d’énergie, d’intention et de mouvement pour faire théâtre sur scène et ravir au passage le public, malgré le drame annoncé de cette pièce en douze tableaux. Douze ? Le nombre correspond aux douze coups de couteaux comptabilisés sur le corps de Douchka, retrouvé sans vie dans un parc.
Sébastien Amblard, l’auteur et metteur en scène du spectacle, s’est inspiré d’un fait divers bulgare, le meurtre d’une prostituée par arme blanche ; et d’une conversation lambda alors qu’il voyageait en covoiturage avec une jeune passagère. « Nous n’avions pas d’argent, j’ai dû me vendre », lui confie cette dernière. À force de rencontres artistiques et de maturation, est née cette pièce bouleversante. Sur le plateau, le décor dépouillé se compose d’un unique lit et d’une barre de pole dance. Ces deux espaces, recouverts de parquet flottant, délimitent deux périodes radicalement différentes de la vie de Douchka – qui signifie « chérie » en russe, mais renvoie aussi au surnom d’une mitrailleuse soviétique – : l’avant et l’après transition.
Emmitouflée sous un bonnet et une imposante doudoune, la jeune femme livre le cheminement de son existence. Sa mère et ses nombreux frères pour famille, son enfance très modeste en Russie, les moqueries à l’école… Les perspectives joyeuses se font rares. D’autant que Douchka se sent mal à l’aise dans son corps de garçon. Son entrejambe lui est insupportable, faisant grandir un rejet de sa personne de plus en plus fort. Mais l’envie de vivre semble infaillible chez la jeune femme. À mesure que les mois et les semaines passent, Douchka prend conscience de sa transidentité. Celle que l’on a toujours pris pour un garçon est en fait une jeune femme. Ce point de bascule forme l’un des moments forts du spectacle. Marion Lambert, diplômée en 2010 de l’école de théâtre de Bordeaux et ancienne élève de la Comédie-Française, incarne avec justesse cette révélation et la période de transition qui s’ensuit.
Comment dès lors assumer sa nouvelle identité ? Douchka trouve refuge dans le monde de la nuit, celui des exclus de la société. Non pas comme danseuse, mais comme prostituée. La jeune femme se lie avec la gérante d’une maison close, et en tombe amoureuse. Vulnérable, esseulée, Douchka se retrouve dépendante de cette main nourricière et de ce corps qui lui apporte une once de tendresse, aussi salvatrice que destructrice. De ces errances dans le monde du proxénétisme, entre la Russie et les capitales européennes, de ces questionnements profonds sur l’identité, de cette quête de liberté, Sébastien Amblard fait un spectacle rythmé, juste et remarquable sur les manquements de notre société. Avec sa voix puissante et sa présence hypnotique, Marion Lambert dit tout cela et plus encore. Assurément, nous avons affaire ici à une grande interprète.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Douchka
Texte, direction artistique et mise en scène Sébastien Amblard
Avec Marion Lambert
Musique Olivier Lautem
Création lumière Philippe Catalano
Scénographie Philippe Catalano et Sébastien Amblard
Conseil littéraire Angèle Baux-Godard et Marie-Claire Utz
Conseil pole dance Patricia Souccar
Couture Marcelle MailletProduction Sama Cie
Soutiens Le Zeppelin/Cie Les Voyageurs (St André-lez-Lille), Théâtre du Nord Centre dramatique national (Lille), maison Folie Beaulieu (Lomme), Compagnie Euphoric-Mouvance (Bellerive-sur-Allier), Château de Monthelon (Montréal), Ballet du Nord – Centre chorégraphique national (Roubaix)
Ce spectacle bénéficie du soutien de la Région Hauts-de-France, dans le cadre du dispositif Hauts-de-France en Avignon.Durée : 1h05
Festival Off Avignon 2023
Théâtre du Train Bleu
du 7 au 25 juillet, à 17h05, les jours impairs
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