Après avoir dirigé pendant vingt ans le festival des Nuits de Fourvière à Lyon, Dominique Delorme va passer la main à la fin du mois de juillet à Emmanuelle Durand et Vincent Anglade.
2003-2023, vous avez dirigé le festival des Nuits de Fourvière pendant deux décennies. C’était le bon moment pour partir ?
D’abord, j’aurais pu continuer car tout le monde a été surpris que j’annonce mon départ. Mais après les deux années difficiles liées à la COVID-19, je me suis dit que si l’on arrivait à remettre le festival sur de bons rails, je me poserai la question de la transmission. On a retrouvé un équilibre, il est donc temps de passer la main. J’ai eu souvent cette discussion avec Sylvie Guilhem, dont le festival a produit beaucoup de ses spectacles. Elle a décidé d’arrêter en 2015 à 50 ans. « J’arrête parce que je ne veux pas entendre la moindre remarque avant que ça se dégrade » disait-elle. J’ai adopté cette philosophie. Le festival est en bonne forme économique, on a retrouvé nos 150 000 spectateurs de base. C’est donc le moment de partir même si j’aurai un petit pincement parce que ce n’est pas une vie désagréable.
Qu’est ce que va vous manquer le plus ?
Je pense que c’est la relation avec les artistes, et les relations durables que l’on a pu construire entre eux et notre public en les accompagnant sur la durée. Je pense à Yaron Lifschitz et la compagnie australienne CIRCA qui sont venus avec plusieurs spectacles ou Bartabas et Zingaro avec qui on a forgé un compagnonnage depuis très longtemps. Le premier spectacle de l’Académie équestre, en dehors de Versailles a été joué en 2006 à Fourvière, c’était Partition équestre avec Alexandre Tharaud. Alors j’ai décidé de l’inviter cette année, il va créer, Les Cantiques du corbeau, une adaptation de son dernier livre (édition Flammarion), qu’il va mettre en scène, sans chevaux, mais avec une belle distribution composée de Charles Berling et Anne-Marie Philipe (la fille de Gérard Philipe) et un ensemble de musiciens.
Bartabas est souvent venu avec Zingaro. Avec la hausse des couts de production, les ressources financières des collectives locales qui ne sont pas extensibles, serait-il possible encore aujourd’hui de faire venir des spectacles aussi imposants ?
Aujourd’hui, ça devient compliqué, vu le contexte de faire tourner des gros spectacles comme ceux-là. D’ailleurs Zingaro reste à Aubervilliers, et ne tourne plus. A Lyon, on arrivait à équilibrer sa venue avec les recettes de billetterie en jouant 30 soirs avec une jauge de 1200 spectateurs par soir. On comptabilisait 35 000 spectateurs. En France, il y avait quelques villes prêtes à l’accueillir comme La Rochelle ou Bordeaux.
Mais il y aura tout de même des chapiteaux cet été au Festival ?
Oui au Domaine de Lacroix-Laval, nous retrouverons les gallois du NoFit State Circus avec leur nouveau spectacle Sabotage. La compagnie est déjà venue en 2019, et a fait un tabac. C’est un cirque à la fois populaire et extrêmement sympathique et très musical avec un groupe rock sur scène.
Et du côté de la danse ?
Le flamenco sera présent avec la danseuse Maria Pagès, puis la chanteuse Inés Bacán qui vient avec Pedro Soler et Gaspar Claus. Et nous programmons Mia Habis et Omar Rajeh, qui avaient candidaté pour diriger le festival. Ils sont installés à Lyon. Leur spectacle s’appelle Beytna, il mêle la danse et la musique classique. Sur scène, la mère d’Omar, qui vient du Liban cuisinera pendant la durée du spectacle un grand plat libanais à partager à la fin par les 1000 spectateurs.
Depuis la crise sanitaire, y-a-t-il des spectacles que vous avez renoncé à accueillir ?
Non, même s’il est vrai que les coûts ont augmenté, j’ai toujours souhaité maintenir un niveau d’exigence artistique, comme l’année dernière avec le Roméo et Juliette de Benjamin Millepied ou la Comédie-Française. Et ce sera encore le cas cet été avec Philippe Decouflé. Il va reprendre Stéréo créé l’été dernière à Montpellier, mais dans une nouvelle version, Deluxe, qu’il répète actuellement, pour un plateau beaucoup plus grand, avec plus de musiciens, de danseurs, et des nouveaux tableaux différents. Le festival a injecté des moyens de production et je suis particulièrement content de le programmer enfin à Fourvière. Le spectacle d’ouverture en 2003, c’était Prométhée enchaîné, monté par Luca Ronconi, qui dirigeait à l’époque le Piccolo Teatro et qui avait monté ce spectacle à Syracuse, dans le grand théâtre de 6000 places. Il y a peu d’artistes en France dans le domaine du spectacle vivant, capables d’utiliser notre plateau de 40 mètres de profondeur et 60 mètres d’ouverture. Philippe Decouflé en fait partie. Il a fallu attendre 20 ans pour trouver le moment de l’inviter.
Éclectique, pluridisciplinaire. Peut-on dire que Les Nuits de Fourvière est le plus grand festival de France ?
Le festival a été créé en 1946. Un an avant le festival d’Avignon, et deux ans avec le festival d’Art lyrique d’Aix -en-Provence. Ces trois là ont survécu de façon très différente et se sont développés. A l’époque la pluridisciplinarité n’était pas tellement reconnue, c’était surtout gage de médiocrité. Alors qu’Grèce, en Espagne, en Angleterre, en Australie, la plupart des festivals sont pluridisciplinaires. On d’ailleurs tissé des liens avec Manchester, Barcelone, Athènes, Melbourne, Sydney ou Brisbane. La bataille a été longue pour arriver à faire accepter la qualité du festival dans sa pluridisciplinarité. Et c’est aussi pour ça que dès la première année j’avais invité Sylvie Guillem, Philip Glass. Puis Bob Wilson la deuxième année. Avec des créations. Ces artistes là n’avaient pas besoin de nous pour vivre parce qu’ils étaient demandés dans le monde entier, mais ils sont venus. Être au plus haut niveau de l’exigence dans toutes les disciplines, nous a positionné dans la cour des grands festivals. Aujourd’hui, dans notre catégorie, on est sans aucun doute le plus grand festival français avec environ 150 représentations et une moyenne de 150 000 spectateurs. Et cette année, on investit 900 000 € en budget de production.
Fourvière est donc un festival de créations, quels sont les spectacles produits dont vous êtes le plus fier ?
Ce dont je suis le plus fier, c’est la fidélité avec les artistes, comme avec Georges Lavaudant qui revient cette année. On coproduit avec Le Printemps des Comédiens de Montpellier, son nouveau spectacle, Rapport pour une académie, la nouvelle de Kafka avec Manuel Le Lièvre. Et puis il y a eu les spectacles improbables avec des artistes formidables inconnus en France et qui ont joué dans des théâtres complets comme Mario Stronco et son Orchestra di piazza Vittorio. On a monté une version musique du monde de La Flûte enchantée de Mozart qui s’est jouée deux années de suite. C’était un énorme succès, puis on a créé Carmen, Don Giovanni. Il y a eu aussi Yaron Lifschitz, dont j’avais découvert le travail à Montréal. C’est un garçon qui ne vient pas du cirque mais avec cette troupe de cirque, CIRCA, qui existait déjà, il en a fait un objet extrêmement singulier.
Et vos regrets, des artistes, des spectacles que vous n’avez pas pu faire venir à Lyon ?
Il y en a beaucoup de regrets, comme celui de n’avoir pas pu accueillir Tom Waits car il ne veut absolument pas jouer en extérieur, on a vraiment tout essayé. C’est marrant parce qu’on a eu Keith Jarrett. Il est venu cinq fois dans une formation en trio avec Jack DeJohnette et Gary Peacock. Mais jamais en solo.
Quel sera votre avenir à la fin juillet ?
Je ne sais pas dans quel monde je vais sauter ! J’ai énormément de mal à me projeter. Au départ, j’avais une formation de photographe. Je rêvais d’être Cartier-Bresson jusqu’au moment où j’ai compris que Cartier-Bresson était unique. Et puis la photographie, c’est un métier très solitaire et j’aimais bien rencontrer du monde. Mais j’ai quelque chose qui me titille de ce côté là.
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