Au Théâtre Actuel Avignon, Virginie Lemoine met en scène l’histoire incroyable mais vraie de Sylvin Rubinstein, un résistant au parcours hors norme. Portée par d’excellents comédiens, cette pièce élégante devrait connaître un beau et long succès dans le circuit du théâtre privé.
Le pitch est si improbable qu’il évoque un film de série B. Éploré par la déportation de sa sœur dans les camps, Sylvin Rubinstein, un danseur de flamenco juif, rejoint la résistance. Puis, à la nuit tombée, il se travestit en une fringante jeune femme, et il extermine des nazis. Cette histoire est incroyable parce qu’elle est vraie. Peu de temps avant sa mort, Sylvin Rubinstein s’est confié à un ancien reporter du magazine Stern, lequel a vérifié les faits, scrupuleusement, et en tiré une biographie (Doleres & Imperio. Die drei Leben des Sylvin Rubenstein), puis un documentaire (He danced life).
Un peu plus tard, et complètement par hasard, les auteurs français Yann Guillon et Stéphane Laporte ont, à leur tour, découvert l’improbable parcours du danseur – tueur de nazis – en jupons. Flairant la pépite romanesque, ils ont adapté son récit pour le théâtre. La metteuse en scène Virginie Lemoine s’en est emparée pour la présenter au Théâtre Actuel à l’occasion du Off avignonnais. Mettons-y notre main à couper, cette Dolores devrait s’imposer comme un tube du privé, dans la lignée des Adieu Monsieur Haffmann et autres créations michalikiennes de la première heure. Tout y est : une narration intelligente et ultra lisible, une mise en scène habile et dépouillée, des acteurs attachants et hyper investis ; de l’honnête et du bon théâtre non subventionné en somme. Sans révolutionner les canons du genre, celle-ci est largement digne de ses standing ovations quotidiennes et de son élogieuse rumeur.
Tout commence avec un vieil homme accoudé dans un bar de Varsovie. Au crépuscule de sa vie, Sylvin Rubinstein a « la nostalgie bavarde ». Il revient dans ce lieu, où, des décennies plus tôt, il fit ses premiers pas sur les planches avec sa sœur jumelle. À l’instar du barman, qui s’apprête à lui servir un dernier verre, on l’écoute distraitement. Mais, bientôt, le conte s’incarne et le plateau s’anime. Nous voilà plongé dans la Pologne des années 1930 avec des musiciens espagnols virevoltants autour de nos deux jeunes gens enthousiastes. Lesquels, sans le savoir, dansent au bord d’un précipice… Il y aura la guerre, puis la séparation ; la rencontre avec un agent de la Wehrmarht complotant contre le Reich, puis la folie meurtrière. Et cette séquence finale : Rubinstein dansant le flamenco sur un toit de Berlin, sous les bombes alliées en 1945, pour fêter la libération. Sidérante catharsis.
L’une des réussites de la pièce tient à ces allers-retours permanents entre le présent et le passé, la narration et l’action, le verbe et la musique. Savant et élégant dosage, à l’économie. La qualité de jeu, aussi, est particulièrement enthousiasmante, à commencer par le duo d’acteurs principaux : Olivier Sitruk et François Feroleto. Ils savent incarner l’amitié naissante, ils parviennent à figurer la tension homoérotique qui se trame entre l’agent double et le danseur avec délicatesse, ils provoquent une empathie immédiate avec le public. Certes, avec un tel sujet, l’équipe n’avait pas le droit à l’erreur. Ce qui ne nous empêche pas de les saluer haut et fort comme ils le méritent.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Dolores
Texte Yann Guillon et Stéphane Laporte
Mise en scène Virginie Lemoine
Avec Olivier Sitruk, François Feroleto, Joséphine Thoby, Sharon Sultan, Ruben Molina, Cristo Cortes, Dani Barba
Assistant mise en scène Laury André
Scénographie Grégoire Lemoine
Costumes Julia Allègre
Lumières et vidéo Mehdi Izza
Création sonore Vincent Lustaud
Chorégraphie Marjorie Ascione en collaboration avec Sharon Sultan et Ruben MolinaDurée : 1h20
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre Actuel
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 15h50
Relâche le 4, 11 et 18 juillet
Représentations suppl. mercredi 3, 10, 17 à 11h45
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