Porté par la grâce de deux clowns célestes, Deux rien magnifie la puissance expressive du geste dans un théâtre sans parole qui nous balade à travers un spectre large d’émotions subtiles. Signée à quatre mains par Caroline Maydat et Clément Belhache de la compagnie Comme si, une pépite qui place haut la création jeune public.
Comme son titre l’indique, ils sont deux et c’est avec trois fois rien qu’ils nous livrent ce duo gestuel au cordeau, un binôme minimaliste sur le fil de l’humour et de la mélancolie, à mi-chemin entre le drame burlesque et le clown tragique, entre le mime et la danse, entre abstraction et figuration. Au plateau, Caroline Maydat et Clément Belhache, allure dégingandée entre Gavroche et Charlot, bonnet noir vissé sur la tête, veste de misère et godillots à lacets, se transforment en figures à la Beckett, comme issues du néant et promptes à y retourner. Des personnages sans nom, sans âge, sans domicile, sans famille, sans passé, sans activité ni situation professionnelle, perdus au milieu de la scène, isolés de tout contexte qui pourrait les identifier, arrimés à un seul et unique port d’attache, ce banc de misère qu’ils se partagent avec joie ou à grand peine, dans une harmonie qui vire parfois au conflit. Ce sont deux maladroits magnifiques, des marginaux attachants, pantins lunaires, marionnettes désarticulées, mi-adultes mi-enfants, qui passent le temps en chamailleries pas méchantes, en jeux enfantins souvent, en mendicité peut-être, se cherchent et se trouvent, tournent en rond, tentent de cohabiter, de contrer l’ennui ou l’attente, d’attirer l’attention de l’autre, de faire couple pourquoi pas. Ou du moins de vivre ensemble en se partageant un territoire réduit, ce minuscule banc comme un radeau au milieu du plateau, toit microscopique où se cacher, assise où s’enraciner. Et s’échapper pour mieux y revenir. Libre à nous d’interpréter comme bon nous semble leur pas de deux sans paroles, chorégraphie de mains fascinante et subtile, pieds de nez et gestuelle à l’unisson autour de ce banc qui est leur unique maison, point d’ancrage et abri de fortune, terrain de jeu et poste d’observation.
Deux Rien est un duo sensible et touchant composé et interprété avec une qualité de mouvement inouïe de finesse par Caroline Maydat et Clément Belhache, épatants de précision, complices et accordés. Un spectacle simple et humble qui ne s’encombre de rien, tire sa force et sa noblesse de son épure, déplace le langage du côté de l’expressivité du corps et du visage, des jeux de regard, et renvoie un miroir d’émotions mouvantes à travers une gestuelle ultra structurée. Rien n’est laissé au hasard et le spectacle avance sur le fil d’une rythmique métronomique qui ne permet aucun écart même quand la musique s’invite, en grand écart entre les aigus mélancoliques de Wim Mertens et la voix chaude d’Yves Montand sur la mélodie doucereuse de ses trois petites notes de musique. Tout en clair-obscur et en contrastes d’ambiance, Deux Rien privilégie la rêverie et le saute-mouton plutôt que le fil narratif linéaire, logique et évident. L’imaginaire y est roi et ces deux-là nous touchent au plus haut point dans cette danse de la vie qui évoque sans conteste les plus démunis sans que jamais le propos ne soit illustratif ou asséné. L’enfance s’immisce dans les interstices et l’insouciance qui va avec mais la tragédie rôde en coin, jamais loin, au détour d’un corps inerte et de l’inquiétude qui couve chez l’autre. Car l’air de rien, chacun veille sur son prochain et si leurs mains se tendent vers le public, le plus souvent elles batifolent, comme indépendantes, papillons volatiles attirés par le corps du partenaire. Mais tout ici respire la pudeur, sentiments et désir s’esquissent mais jamais n’aboutissent, un baiser est donné, aussitôt retiré dans une mine de dégoût qui provoque l’hilarité du jeune public. Et pourtant tout est dit. La tentation, la tentative, la maladresse et la tendresse. Dans ce no man’s land où tout est possible, le réel s’invente à chaque geste et le monde devient une scène à habiter et partager avec autant de légèreté que de solitude intériorisée.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Deux rien
Mise en scène, auteurs, chorégraphes et jeu : Caroline Maydat et Clément Belhache
Création Lumières : Karl-Ludwig Francisco
Création sonore : Michael Bugdahn
Diffusion : D’un Acteur, l’Autre – Odile Sage
Production : Compagnie Comme Si
Coproduction / Soutiens / Accueil : SPEDIDAM, Les Synodales, Studios de Virecourt, Bergerie de Soffin, Conseil général de l’Essonne, Région Bourgogne Franche-Comté, T-OFF cortoindanza, Simonetta Pusceddu T-OFF, Théâtre Victor Hugo Bagneux, Scène des arts du Geste – VSGP, Maison du Comédien Maria Casares.Tout public, à partir de 5 ans
Durée : 1h
Du 13 au 17 décembre 2023
Lavoir Moderne ParisienTournée 2024
17/01 Saint Genevieve des bois (91)
26/01 Soultz sous Forêts (67)
10/02 la Ferte Bernard (72)
15/02 La Rochefoucauld (16)
17/02 Beaupréau (49)
Du 19 au 21 février Montargis (45)
Du 25/02 au 01/03 tournée CCAS dans les alpes
14/03 Rillieux-la-Pape (69)
5/04 Villeneuve le Roi (94)
23/04 Hesingue (68)
24/04 Sélestat (67)
26/04 Volgelsheim (68)
28/04 Treyvaux (17)
19/05 Magny les Hameaux (78)
Tournée CCAS du 15 au 30/07
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