Avec …et tout sera pardonné ?, Baptiste Amann clôt sa trilogie pavillonnaire. Après la Révolution française et la Commune de Paris, il interroge la révolution algérienne et la possibilité d’une réconciliation.
Et vint le moment, fatidique, de terminer la révolution. L’ambition a, dans l’Histoire, toujours posé problème aux révolutionnaires qui, sans renoncer à ce qu’ils avaient obtenu, devaient veiller à ne pas se laisser dévorer par le monstre, potentiellement hors de contrôle, auquel ils avaient donné naissance. A son échelle, Baptiste Amann devait, lui aussi, achever sa révolution, ou plutôt ses révolutions, dont il avait entamé l’ambitieuse ronde il y a près de six ans. Après Nous sifflerons la Marseillaise… et …d’une prison l’autre…, lui et sa troupe, formés à l’Ecole régionale d’acteurs de Cannes, livrent …et tout sera pardonné ? en guise de clôture de leur singulière trilogie pavillonnaire, Des territoires.
La mythologie révolutionnaire française aurait voulu, qu’après la Révolution de 1789 et la Commune de Paris, Baptiste Amann invite Mai-68 au cœur de la vie de Lyn, Samuel, Hafiz et Benny, membres d’une fratrie coincée, comme tant d’autres, dans le quotidien désenchanté d’une cité HLM. Il a, au contraire, pris l’immédiat contre-pied de cette logique, et préféré se plonger dans la révolution algérienne des années 1950-60, sans doute conscient que c’est bien elle qui a le plus bousculé la société française, et posé le défi du pardon et de l’impossible réconciliation dont elle porte, aujourd’hui encore, de profonds stigmates. Une thématique qui, alors qu’elle fut longtemps absente des scènes, fait désormais florès. Ces derniers mois, on l’a vue traitée, avec plus ou moins de réussite, par Le Birgit Ensemble (Les Oubliés), Alice Carré et Margaux Eskenazi (Et le cœur fume encore) ou encore Alexandra Badea (Points de non-retour [Quais de Seine]).
Plutôt que de l’aborder frontalement, Baptiste Amann a choisi d’adopter sa propre grammaire théâtrale. Celle qui invite les fantômes du passé dans notre contemporanéité, interroge les liens entre les révolutions achevées et la déstabilisation présente, analyse le désenchantement et ses conséquences à plusieurs générations d’intervalles. Le dramaturge reprend alors son fil narratif exactement là où il l’avait arrêté. Pris dans une émeute, Benny est sévèrement blessé et se retrouve à l’hôpital. Lyn, Samuel et Hafiz, qui venaient déjà de perdre leurs parents, doivent faire face à ce frère en état de mort cérébrale, et potentiel donneur d’organes. Entre les murs de l’établissement, se tourne, parallèlement, un film sur Djamila Bouhired, cette militante du FLN, condamnée à mort pour « actes de terrorisme », dont la figure va venir percuter la fratrie endeuillée.
Comme dans ses deux précédentes créations, Baptiste Amann développe une dramaturgie singulière, à plusieurs bandes, où la guerre d’Algérie s’invite subrepticement, presque par effraction. Avec le temps, sa plume s’est musclée, son propos densifié et poétisé, à l’image de sa mise en scène, débarrassée de ses effets de manche, et du jeu de sa troupe qui confère à chaque personnage une véritable épaisseur. Alors qu’il semblait parfois lui échapper lors des premiers opus, il maîtrise davantage cet enchevêtrement dramatique complexe qui, s’il peut laisser plus d’un spectateur sur le bord de la route, fait également la marque de fabrique de son projet. Malgré tout, la pièce ne manque pas de se perdre en bavardages et mériterait d’être drastiquement resserrée pour gagner en intensité. Surtout, Baptiste Amann a senti que le terrain de la révolution algérienne était miné, et semble avancer beaucoup plus prudemment qu’à l’accoutumée. En ressort une finesse de plume et d’esprit, de vrais instants qui font mouche, et, en même temps, une certaine confusion dans ce propos patchwork qui, s’il transpire d’intelligence, reste un peu cérébral. Pour lui, la révolution se clôt en demi-teinte, mais reste un tremplin de choix vers un avenir prometteur.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Des territoires (…et tout sera pardonné ?)
Texte, mise en scène et scénographie Baptiste Amann
Collaboration artistique Amélie Enon
Avec Solal Bouloudnine, Alexandre Castellon, Nailia Harzoune, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Lyn Thibault, Olivier Veillon
Régie générale François Duguest
Lumières Florent Jacob
Son Léon Blomme
Costumes Suzanne AubertProduction L’ANNEXE
Coproduction Centre national des dramaturgies contemporaines – Théâtre Ouvert, Comédie de Béthune – Centre dramatique national Hauts-de-France, Le Merlan – Scène nationale de Marseille, Pôle des Arts de la Scène – la Friche la Belle de Mai, Théâtre de la Bastille, La Coupe d’Or – Scène conventionnée de Rochefort, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, L’Empreinte – Scène nationale de Brive/Tulle, Théâtre Sorano de Toulouse et l’Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine
Avec le soutien de la DRAC Nouvelle-Aquitaine (aide à la production dramatique), la Gare Franche-Maison d’artistes & de curiosités (résidence), l’ADAMI, l’OUTIL.Baptiste Amann est publié aux Éditions Théâtre Ouvert/Tapuscrit. Il est artiste associé à la Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France et au ZEF – Scène nationale de Marseille. Il est également artiste compagnon du TnBA. Le texte est lauréat de la Commission nationale d’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA.
Durée : 2h30
Théâtre de la Bastille, Paris
du 27 novembre au 7 décembre 2019TnBA, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
du 28 janvier au 1er février 2020L’Empreinte – Scène nationale Brive-Tulle
le 12 mars
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