Splendeur est une matière à jeu assez extraordinaire. Chaque comédienne doit puiser dans l’ensemble de sa palette. Tantôt ces femmes se disent la vérité, tantôt elles se mentent (peu à peu, la vérité prend le dessus). Tantôt elles se situent dans l’instant présent (celui de l’occasion à saisir, ou du simple réflexe de survie), tantôt elles envisagent le sens de toute leur existence, voire leur position dans l’Histoire. Certains moments sont incarnés au premier degré. D’autres sont des commentaires en aparté sur ce que le personnage ressent, ou sur ce qu’il observe chez les autres. D’autres encore sont des récits, tantôt rétrospectifs (nous découvrons alors les racines cachées qui nourrissent le moment actuel), soit même prospectifs (nous entrevoyons alors sur quoi débouchera plus tard cette actualité, cette dernière après-midi à laquelle nous assistons, et qui s’avère être décisive).
Tous ces modes de jeu, intérieur ou extérieur, direct ou distancié, adressé ou non au public, concret ou stylisé, interfèrent ensemble au présent. Les récits, par exemple, ne se font pas au passé. C’est bien à une sorte d’étrange « sur-présent », à l’invention d’un super-temps théâtral que nous assistons. Un temps à la fois mental et objectif, intime et public. A la mise en commun (entre elles et avec nous) des souvenirs, des impressions, des réflexions de ces quatre femmes qui s’observent, se jaugent, se devinent et finissent par se comprendre et révéler leur vérité.
Touche par touche, nuance par nuance, l’image se fait plus précise. Chacune d’elles se fait mieux connaître. C’est comme l’apparition d’une photo, d’abord floue plus de plus en plus détaillée, dans un bain de révélateur. Ou comme la contemplation d’un tableau, où l’on ne distingue d’abord qu’un fouillis de lignes quasi abstraites, avant de voir s’organiser les plans et les figures, et d’interpréter enfin l’intention profonde de l’artiste.
Ou encore, comme la reconstitution d’un précieux vase brisé à partir de ses fragments. Ces fragments sont tranchants, brillants, à manipuler avec précaution. Ensemble, ils gardent le souvenir de leur forme première, qui ne sera jamais reconstituée. Mais tous ces éclats de cristal, à force d’être examinés encore et encore, deviennent ici comme les pièces d’un kaléidoscope mouvant où le fantôme du vase semble réinventé, un peu plus vivant à chaque combinaison.
Cette photo, ce tableau, ce vase se trouvent dansSplendeur. L’une des femmes, Kathryn, une journaliste, est venue prendre cette photo chez Micheleine. Une autre, Geneviève, est la veuve d’un artiste qui a peint ce tableau pour Micheleine. Quant à Gilma, la quatrième, elle a tenu, tient et tiendra entre ses mains ce fameux vase, ramené de Venise par Micheleine…
Une photo chez Micheleine. Un tableau pour Micheleine. Un vase de Micheleine. Tout paraît tourner autour d’elle. C’est vrai. Mais Splendeurfait de chaque rôle un centre en soi. Quel cadeau pour les interprètes. Delphine Salkin a su réunir, pour ce quatuor, une distribution exceptionnelle. Le 19 mars 2018, en version resserrée pour une lecture publique au théâtre de l’Athénée, la joie de jouer de Christiane Cohendy, Manon Combes, Clotilde Mollet et Anne Sée et était plus que palpable. Elle était communicative, rayonnante. Elle éclairait, illuminait le texte pour tous les spectateurs présents.
Grâce à elles, je commence à connaître Splendeur. J’ai hâte de voir la suite.
Daniel Loayza,24 mars 2018
Splendeur
de Abi Morgan, traduction Daniel Loayzamise en scène de Delphine Salkin, avec Christiane Cohendy, Roxanne Roux, Laurence Roy et Anne Sée
Création environnement sonore et compositions musicales : Pascale Salkin
Traduction et conseils dramaturgiques : Daniel LoayzaCréation lumières – Daniel Lévy
Scénographie et costumes – Clémence Kazémi
Création le 21 janvier 2020 au Théâtre de Sénart
à partir du 28 janvier au Théâtre 71 Malakoff
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