Photo Cie Ka[/caption]
Aux commandes d’une mise en scène à l’onirisme soigné, David Van de Woestyne se perd dans les circonvolutions de la pièce de Davide Carnevali, qui ne sait plus quoi choisir entre radiographie intime et digression politique.
David Van de Woestyne n’a pas choisi la facilité. Pour son premier projet au sein de la Compagnie Ka, spécialisée dans la marionnette contemporaine, le comédien, musicien et metteur en scène a opté pour les méandres des Variations sur le modèle de Kraepelin (ou le champ sémantique des lapins en sauce) tracés par Davide Carnevali. En rupture, dans sa dramaturgie, avec les principes aristotéliciens de cohérence, de linéarité chronologique et de relation de causalité, le jeune auteur italien cultive l’art de l’écriture circulaire, où mouvement après mouvement et fragment par fragment, ses pièces révèlent leurs multiples facettes et offrent une kyrielle d’interprétations possibles, telles des énigmes à plusieurs inconnues.
Entre onirisme délirant et réalisme cru, ces Variations plongent dans le quotidien et le cerveau torturé d’un vieil homme, en proie à une maladie neurodégénérative. Perdu dans sa vie, aux prises avec ses maigres souvenirs, il est soutenu par son fils, lui-même conseillé par une femme, homonyme du psychiatre allemand Emil Kraepelin. D’une grande bienveillance, avec une allure quasi-fantomatique, elle le guide dans les soins à apporter à son père, le rassure quant à son état, lui intime de ne jamais le laisser seul. D’abord linéaire, presque banale, l’existence des deux hommes se trouve peu à peu chamboulée par le désordre dû aux défaillances du père. Coincé au cœur de la Seconde guerre mondiale, il emporte son fils dans son déraillement progressif, et on ne sait plus trop, alors, ce qui relève du réel ou de l’illusion cognitive.
Pour renforcer cette impression d’étrangeté, David Van de Woestyne a parié sur une mise en scène particulièrement travaillée. A la manière d’un Joël Pommerat, il enchaîne les séquences flashs, entrecoupées de noir, comme pour traduire l’absence de suite logique causée par la maladie du père. Soutenu par la création lumières d’Yragaël Gervais et Sarah Grandjean, ce parti-pris scénographique instaure une ambiance curieuse, parfois dérangeante, mais jamais effrayante. Entre humour et gravité, elle profite de l’apparition régulière des marionnettes de Catherine Hugot qui, sous la forme d’un lapin en peluche ou d’un double du père malade, concourent à cette atmosphère de rêve ou de cauchemar presque enfantine, symbole de la régression paternelle.
Sauf qu’à trop vouloir soigner l’écrin, à trop se concentrer sur la mise en situation, complexe, des mots de Davide Carnevali, David Van de Woestyne en a oublié de sonder les âmes et les cœurs des personnages, qui paraissent insuffisamment creusés. Parmi les trois comédiens, seule Elsa Tauveron, en Kraepelin évanescent, semble avoir trouvé le ton idéal, quand les jeux de Guillaume Clausse et Arnaud Frémont, moteurs du duo filial, sont soit trop appuyés, voire caricaturaux dans leur appréhension de la maladie d’Alzheimer, soit trop effacés. A l’avenant, sa lecture de la pièce, d’abord cohérente, s’étiole peu à peu. Complexifiée par une anti-logique textuelle attrape-tout, qui ne sait plus quoi choisir entre radiographie intime et digression politique sur une Europe à la dérive, sa proposition se transforme, dans les dernières encablures, en une longue succession de scènes sans fil conducteur apparent. Difficile, alors, de ne pas en ressortir un brin confus.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Variations sur le modèle de Kraepelin (ou le champ sémantique des lapins en sauce)
de Davide Carnevali (éditions Actes Sud Papier)
Mise en scène David Van de Woestyne
Assistance à la mise en scène et création des marionnettes Catherine Hugot
Interprétation et manipulation Guillaume Clausse, Arnaud Frémont, Elsa Tauveron
Scénographie Ana Kozelka
Costume Elise Guillou
Création sonore Uriel Bartélémi
Lumière et vidéo Yragaël Gervais et Sarah Grandjean
Son Fabien NicolCoproduction et soutiens : Ville de Besançon ; Conseil départemental du Doubs ; Conseil régional Bourgogne – Franche-Comté ; DRAC Bourgogne – Franche-Comté ; le Centre dramatique national de Besançon ; le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette
Durée : 1h10
Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette
Du 2 au 19 avril 2019
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