La metteuse en scène retrace, avec brio, l’épopée de la première équipe de France féminine de football, et parvient à faire de la force du collectif un levier d’émancipation des femmes.
Au départ, c’est certain, personne n’aurait misé un kopeck sur elles. Et pourtant, ce qui ne devait rester, du point de vue des hommes, qu’une curiosité, s’est transformé en épopée, heureuse et victorieuse, au-delà des espérances de ces femmes qui s’étaient engagées, pour la plupart, la fleur au fusil. Lorsqu’à l’été 1968, Pierre Geoffroy cherche un concept pour animer la kermesse de son journal, L’Union, et succéder au combat de catch de nains organisé l’année précédente, il songe à une idée littéralement hors norme : un match de football où les joueurs seraient remplacés par des joueuses. A sa grande surprise, le projet suscite l’intérêt de nombreuses femmes qui se révèlent, à l’épreuve du terrain, bien meilleures qu’il ne l’avait imaginé. La fantaisie prend alors l’allure d’une aventure et l’équipe de Reims devient, au fil des mois, l’équipe de France, prête à rivaliser avec les plus grandes joueuses internationales lors de la Coupe du monde de Taipei en 1978.
Avant de s’asseoir à la table d’écriture, Pauline Bureau est allée à la rencontre de plusieurs membres de cette équipe historique. De leurs récits, elle a capté l’âme et l’esprit, mais a choisi de fictionnaliser les parcours individuels, histoire de mêler fragments intimes et mémoire commune, comme elle avait déjà su brillamment le faire dans Mon Cœur, Hors la loi et Les Bijoux de pacotille. Avec la subtilité et la sensibilité qui la caractérisent, la dramaturge et metteuse en scène a voulu aller bien au-delà de la simple odyssée sportive. En miroir des instants de vie collective, elle a construit des situations du quotidien qui, évocation après évocation, disent beaucoup de la condition des femmes de la fin des années soixante. Payées à la pièce, et au lance-pierre, à l’usine, soumises à des hommes qui préféreraient les voir faire de la danse classique ou rester sagement à la maison, illettrées ou battues pour certaines, Joana, Marie-Maud, Rose, Marinette, Françoise, Josepha et Jeanine trouvent dans la force du collectif qu’elles forment les ressources pour s’émanciper individuellement. Le sport devient alors, pour elles, un formidable levier de libération pour échapper aux griffes d’un mari violent, s’opposer au patron exploiteur, apprendre à lire ou, simplement, s’affirmer comme femme dans la société patriarcale.
Cet esprit de groupe, Pauline Bureau a su habilement le convertir en dynamique de troupe. Sur le plateau du Théâtre des Abbesses, Rébecca Finet, Sonia Floire, Léa Fouillet, Camille Garcia, Marie Nicolle, Louise Orry-Diquéro et Catherine Vinatier resplendissent de complicité. De toutes origines et de tous gabarits, elles offrent, chacune à leur manière, une aura singulière au spectacle. Une nouvelle fois épaulée par le talent scénographique d’Emmanuelle Roy, la metteuse en scène a conçu un décor où l’ensemble des espaces s’enchevêtrent avec une fluidité et une habileté remarquables. Quand la vidéo se charge des séquences sur le terrain, le plateau large est dévolu au vestiaire et les espaces plus resserrés aux intérieurs du quotidien, où se déroulent les drames et les joies intimes. A la musique qui, de Gossip à Beyoncé, pourrait sembler anachronique, Pauline Bureau a confié la lourde charge de construire une passerelle avec notre temps, façon de signifier que les histoires individuelles et collectives de ces femmes ne datent pas toujours d’hier.
Et les hommes dans tout cela ? Ils ne sont (évidemment) pas tout à fait absents. Yann Burlot, Nicolas Chupin et Anthony Roullier incarnent, tour à tour, des rôles plus ou moins secondaires, rouages parfois tragiques, souvent comiques, de la dramaturgie. Car c’est bien de ce dernier côté, celui du spectacle feel good, que Pauline Bureau, après plusieurs pièces à la tonalité plutôt sombre, a décidé de se tourner. Un pari qui se révèle être un franc succès et prouve que cette artiste-là sait définitivement jouer, à la plume comme au plateau, sur tous les tableaux. A croire qu’il ne lui manque, définitivement, aucun talent.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Féminines
Texte et mise en scène Pauline Bureau
Avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire, Léa Fouillet, Camille Garcia, Marie Nicolle, Louise Orry-Diquéro, Anthony Roullier, Catherine Vinatier, et à l’image Claire Allard, Shéhérazade Berrezel, Séverine Berthelot, Benoîte Bureau, Constance Cardot, Hélène Chrysochoos, Maud Desbordes, Claire Dugot, Gwen Fiquet, David Fischer, Sonia Floire, Gaëtan Goron, Sophie Lê Kiêu-Vân, Mathilde Legallais, Lydia Mallet, Camille Martignac, Nathalie Mayer, Sandra Moreno, Virginie Mouradian, Cécile Mourier, Albine Munoz, Marie Plainfossé, Mathilde Ressaire, Emmanuelle Roy, Chani Sabaty, Cécile Zanibelli, Catherine Zavlav
Scénographie Emmanuelle Roy
Costumes et accessoires Alice Touvet
Composition musicale & sonore Vincent Hulot
Vidéo Nathalie Cabrol
Dramaturgie Benoîte Bureau
Lumières Sébastien Böhm
Perruques Catherine Saint-Sever
Collaboration artistique Cécile Zanibelli & Gaëlle Hausermann
Assistanat à la mise en scène & régie plateau Léa Fouillet
Maquettiste scénographie Justine CreugnyProduction La Part des anges
Coproduction Comédie de Caen – CDN de Normandie, Théâtre de la Ville-Paris, Le Volcan – Scène Nationale du Havre, Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque, Le Granit – Scène nationale de Belfort
Avec l’aide à la création du Département de la Seine Maritime, la participation artistique du Jeune théâtre national et le soutien du Fonds SACD Théâtre. Avec le concours de la Mairie de Montreuil et de la Mairie du 14e arrondissement de Paris.
Durée : 2 heures
du 14 au 17 mai 2024
Grande Halle de La Villette
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