Au Théâtre des Bouffes du Nord, Daniel San Pedro et Pascal Sangla mettent en musique plusieurs textes de Federico García Lorca, mais entravent, ce faisant, la poétique de l’auteur espagnol.
Que sont les filles de Bernarda Alba devenues ? Sur la scène des Bouffes du Nord, noyée dans la fumée d’encens, leurs silhouettes se devinent au loin, cachées autant que recluses derrière un rideau à fleurs faussement brodé, telles des ombres serties dans leurs sempiternels habits de deuil. Pour ces cinq femmes, le décès de leur mère est à double détente : douloureux, comme l’est toujours la perte d’un proche, mais aussi synonyme d’une liberté à éprouver. Celle-là même dont leur matriarche dictatoriale les avait jusqu’ici privées. De ce collectif féminin touché par la mort, vont alors émerger cinq individualités, comme autant de trajectoires à construire dans une Espagne en plein marasme. Pour tenter d’écrire leurs destins, Daniel San Pedro s’est appuyé sur la poésie de leur père littéraire, Federico García Lorca. Sauf qu’au lieu de la dire, de la projeter, d’en faire éclater la beauté et la musicalité intrinsèques, il a choisi, avec l’aide de Pascal Sangla, de la mettre en musique, et c’est là, presque d’entrée de jeu, que le bât blesse.
Enrobée dans un mélange de piano – qui régulièrement couvre les voix –, de violon, de guitare, de luth, de contrebasse et de diverses percussions, la belle poétique de Lorca peine à émerger, et à nous parvenir. Les unes après les autres, parfois ensemble, les comédiennes-chanteuses, ou chanteuses-comédiennes, selon leur parcours d’origine, tentent de jongler avec les mots de l’auteur espagnol, de leur donner du relief, mais, malgré leurs efforts, ne réussissent malheureusement que très rarement à leur faire franchir le mur du son. Surtout, le travail dramaturgique de Daniel San Pedro semble largement insuffisant pour dépasser le stade du simple tour de chant polyphonique. Au fil de ce « concert théâtral », les destins imaginaires des filles de Bernarda Alba éprouvent alors moult difficultés à se dessiner, égarés dans des choix de textes qui paraissent un tantinet nombrilistes et superficiels au regard de la guerre civile qui s’apprête à éclater – et n’est présente qu’en mince, très mince, trop mince, toile de fond.
D’autant que, au plateau, le niveau des chanteuses-comédiennes est beaucoup trop hétérogène pour convaincre. Si Camélia Jordana s’en sort, logiquement, lorsqu’il s’agit de donner de la voix, Audrey Bonnet est, tout aussi logiquement, plus à la peine, et apparaît souvent mal à l’aise dans cet exercice qui lui sied définitivement moins que le théâtre à l’état pur. Malgré une direction d’actrices qu’on devine légère, engoncée dans un parti-pris maniéré qui pousse le collectif à surjouer la complicité, Johanna Nizard s’en sort avec les honneurs car elle ose, donne du caractère à son personnage, et réveille, ce faisant, cette proposition par trop précieuse. En dépit du bel écrin scénographique conçu par Aurélie Maestre, la mise en scène chichiteuse, voire artificielle, de Daniel San Pedro paraît se complaire dans une forme de folklore hispanisant et manque cruellement de générosité pour transmettre toute la sensibilité que la poésie de Federico García Lorca renferme. Comme si les filles de Bernarda Alba avaient, en définitive, tout le mal du monde à sortir de cette maison où elles sont, bien trop longtemps, restées cloîtrées.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Andando Lorca 1936
Textes Federico García Lorca
Mise en scène, adaptation et traduction Daniel San Pedro
Composition et direction musicale Pascal Sangla
Chorégraphie Ruben Molina
Avec Aymeline Alix, Audrey Bonnet, Zita Hanrot, Camélia Jordana, Estelle Meyer, Johanna Nizard, et les musiciens Liv Heym, Pascal Sangla, M’hamed el Menjra
Scénographie Aurélie Maestre
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières Alban Sauve
Création sonore Jean-Luc Ristord
Chorégraphie Ruben Molina
Maquillages et coiffures David Carvalho Nunes
Assistant à la mise en scène Guillaume Ravoire
Assistante scénographie Clara Cohen
Assistante costumes Magdalena Calloc’hProduction C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord
Coproduction Scène Nationale du Sud-Aquitain – Bayonne ; Compagnie des Petits Champs ; La Maison/Nevers – Scène conventionnée Arts en territoire en préfiguration ; Scène Nationale archipel de Thau – Sète ; Châteauvallon – scène nationale ; Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-YonLa Compagnie des Petits Champs est conventionnée par la DRAC Normandie – Ministère de la Culture et de la Communication et reçoit le soutien du Département de l’Eure et de la Région Normandie.
Durée : 1h40
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 2 au 12 février 2022Figuier Blanc, Argenteuil
le 15 févrierL’Avant Seine, Théâtre de Colombes
le 16 févrierThéâtre Jacques Carat, Cachan
le 17 févrierLe Théâtre – Scène Nationale de Saint Nazaire
le 22 févrierLe Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
le 24 févrierLa Rive Gauche, Saint-Etienne du Rouvray
le 26 févrierFestival d’Anjou, Château du Plessis-Macé
le 7 juin
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