Avec Yourte et Les Immergés, les compagnies Mille Printemps et La Récré tentent de questionner l’urgence écologique et les rêves d’avenir de la jeunesse du nouveau millénaire. Faute d’interroger ses pratiques en profondeur, leurs comédies tombent hélas dans tous les travers qu’elles prétendent dénoncer.
Parmi les assez rares spectacles visibles à Paris en ce tout début septembre, avant une reprise torrentielle au milieu du mois, deux au moins pourraient sembler avoir été écrits pendant le confinement : Les Immergés de la compagnie La Récré, et Yourte de la compagnie Les Mille Printemps. Dans ces deux pièces, des groupes de jeunes gens – très jeunes même, dans le cas de la première, née dans un cadre de travaux de fin d’étude du Cours Florent – sont aux prises avec la question environnementale. Les uns sont forcés à l’exil en 2081 du fait de la montée des eaux. Les autres décident d’eux-mêmes de « se réinventer », lit-on sur le dossier de presse du spectacle, et « construisent un nouveau monde, une manière de vivre qui leur ressemble et qui les rassemble » : ils s’installent quelque part un peu, mais pas trop, en marge du monde. Dans une yourte qu’ils prétendent habiter selon des règles qu’ils se sont eux-mêmes fixées, respectueuses de l’environnement et de l’humain.
Les réfugiés climatiques européens des Immergés et les utopistes sous tente de Yourte ont hélas davantage en commun qu’un climat merdique. Sans épaisseur, animés par une pensée parfaitement binaire, ils sont les véhicules d’une pensée simpliste sur les sujets complexes que se proposent d’aborder auteurs et metteurs en scène. En optant pour un type de comédie aux accents de série télé, les deux compagnies se placent à la surface des problèmes dont elles se disent préoccupées. Qu’elles portent un scénario catastrophe ou la fiction d’une utopie collectiviste, elles s’inscrivent dans un imaginaire et dans des esthétiques dominantes. Faute de remettre en question les formes, les récits existants, elles s’arrêtent au stade d’un constat que Gabrielle Chalmont, coauteure de Yourte avec Marie-Pierre Nalbandian : « notre monde va mal, il y a comme un grand malaise ».
« Faut-il continuer à travailler pour un système qui détruit les humains et la biosphère ? Faut-il désobéir ? Déserter ? Cesser de participer ? Mais comment et avec qui ? Quelle société recréer ? Avec quelles valeurs ? ». Le chapelet de questions que pose dans le dossier de Yourte l’auteur et conférencier Pablo Servigne sont formulées sur scène à l’identique. Davantage que des personnages à part entière, les huit protagonistes de la pièce incarnés par Claire Bouanich, Bastien Chevrot, Sarah Coulaud, Louise Fafa, Maud Martel, Jeanne Ruff, Hugo Tejero et Benjamin Zana sont des porteurs d’interrogations anciennes, usées. La solution qu’ils proposent, leur yourte, ne va pas au-delà des clichés de l’altermondialisme. Tandis que les rescapés des Immergés disent l’urgence climatique avec un didactisme dilué dans une fiction qui oscille entre le road-movie et la fiction pour ados avec sa bande de potes, ses amours, ses emmerdes.
La contestation, la critique, dans Les Immergés et dans Yourte, ont des airs de marketing. Elles sourient, elles séduisent avec des artifices empruntés à de nombreuses disciplines, sans creuser les possibilités du théâtre en la matière. Dans les deux pièces, de pâles chorégraphies de groupe, type plateau télé mais sans les costumes aguicheurs et la débauche de lumières, tentent visiblement de faire passer la pilule du message. Une manière de pointer les contradictions des groupes et des individus qui les composent ? Si telle était l’intention des deux compagnies, rien ne le donne à sentir au plateau, où les comédiens semblent davantage contaminés par ces bruits de l’époque que nourries par eux. Les sujets abordés se prêtaient pourtant au recyclage, au détournement de formes existantes. Si bon nombre de dominations – masculines, économiques ou encore culturelles – sont mises en cause par les compagnies La Récré et Les Mille Printemps, rien n’est proposé à la place. Sinon des rêves d’enfants qui n’ont pas encore grandi.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les Immergés
D’Aurore Streich
Mise en scène : Laurela Delle Side
Avec : Mila Besson, Sophie Condette, Laurela Delle Side, Alexandru Liger, Victor Hanna, Alexis Ruotolo, Aurore Streich, Loïc Déchaud (en alternance), Maxime Meston (en alternance), Thomas Sagot (en alternance)
Création lumières : Laurela Delle Side
À la Folie Théâtre
Du 27 août au 7 novembre 2020Yourte
Texte : Gabrielle Chalmont et Marie-Pierre Nalbandian, mise en scène Gabrielle Chalmont
Compagnie Les mille Printemps (Nouvelle Aquitaine)Avec Claire Bouanich (Gloria), Bastien Chevrot (Jonathan), Sarah Coulaud (Juliette), Louise Fafa (Hélène), Maud Martel (Sybille), Jeanne Ruff (Camille), Hugo Tejero (Maxime) et Benjamin Zana (Isaac)
Scénographie : Lise Mazeaud, Création lumière Agathe Geffroy, Création musicale Balthazar Ruff
Production : Les mille Printemps
Avec le soutien du Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis, la Palène – Rouillac, L’ENSATT, la Corpus fabrique.
Remerciements à Pablo Servigne, Alexis Michalik, et à l’association Et Pourquoi pas ?
Théâtre 13 / Seine
Du 1er au 27 septembre 2020
Théâtre Raymond Devos, St Rémy-les-Chevreuses
Le 16 octobre 2020
Le champ de foire à St-André de Cubezac
Le 18 novembre 2020
Parthenay, association Ah
Le 19 novembre 2020
La Caravelle, Marchprime
Le 20 novembre 2020
Espace Simone Signoret, Canejean
Le 21 novembre 2020
Théâtre de Meaux
Le 3 décembre 2020
Le Cube, Douvres-la-Délivrande
Le 19 mars 2021
Théâtre Charles Dullin, Grand Quevilly
Le 20 mars 2021
Espace Treulon, Bruges
Le 30 avril 2021
Parc des épis de vents, Théâtre de Fontenay-sous-Bois
Le 19 juin 2021
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