Dans l’anti spectaculaire, le Grand Cerf Bleu lance son dernier brame. Une forme d’une grande simplicité au puissant effet de réel qui donne à voir les tiraillements d’une génération privée de rêves.
C’est leur marque de fabrique et elle est immédiatement sensible au plateau. Du simple, de l’ordinaire, jusqu’au trivial pourquoi pas. Partez devant, dernier opus de la compagnie du Cerf Bleu, ne se distingue ni par l’élégance de sa langue, ni par l’extraordinaire des situations qu’il invente. Un garçon et une fille, autour de la trentaine. Ils vivent ensemble, dans la zone grise entre coloc et attirance. Simon ne saute pas sur les filles ni sur le boulot. Il est passé par Hypokhâgne et occupe la plupart de son temps à regarder passivement le monde. Clara, elle, s’occupe beaucoup de sa grand-mère et vient de réussir à se faire virer de son boulot de serveuse. Elle voudrait profiter de cette période de vacance qui s’ouvre pour s’inventer un avenir. Entre ambiguïté amoureuse et rendez-vous Pole Emploi, elle tente d’entraîner Simon avec elle, de le faire décoller de son siège.
Mais cela vaut-il vraiment le coup ? Elle-même n’en est certainement pas persuadée. Et le spectacle ne cherche pas à répondre à cette question. Bien au contraire. Partez devant possède en effet cette capacité de délivrer comme un instantané de la société. La photo d’une génération post désenchantée, entre Un monde sans pitié et crises multiples qui font cohabiter dans le même monde l’éternel discours de la performance et la sensation de plus en plus vive que tout cela ne rime à rien. « Si ils savaient quel pays de merde on est devenu », « On n’a rien inventé depuis le Concorde » comme échantillons d’une fatigue qui fait maintenant bien plus que poindre.
En défaitiste assumé, un brin dépressif, au bord de l’amertume, Adrien Guiraud nous entraîne volontiers dans la douce nonchalance de son personnage. Plus nerveux, moins assuré, celui incarné par Juliette Prier est visiblement fragile et sympathique. Une jeune femme qui cherche sa voie, sa vie, un projet. Les deux sont proches et différents. Les chemins qu’ils empruntent peuvent se marier comme s’opposer. Leurs interprètes jouent tour à tour à l’intérieur ou sur les bords du cercle que dessine l’assistance. Lumières allumées, sans artifice, une engueulade à la fin et une citation du Livre de l’intranquillité de Pessoa pour tout instrument de théâtralité. Partez devant nous donne à les suivre pendant un an, entre dialogues du quotidien et monologues pas moins dépouillés. C’est fluide et naturel, d’une normalité troublante.
C’est bien sûr souvent le lot des écritures de plateau que de produire des effets de réel. Le texte écrit par Quentin Hodara n’échappe pas à quelques moments plus faibles, convenus. L’inattendu n’étant pas souvent de ce monde. Mais l’ensemble – le texte, le jeu et la mise en scène campés dans cette esthétique de l’ordinaire – produit au final un irrésistible effet, un charme en harmonie avec le propos du spectacle. Aujourd’hui, il ne faut plus se la raconter. Et c’est très joliment dit.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Passez devant
Mise en scène Laureline Le Bris-Cep
Assistant metteur en scène et technique Gabriel Tur Texte Quentin Hodara
Avec Adrien Guiraud, Juliette Prier
Une création du Collectif Le Grand Cerf Bleu «Satellite»Administration, production Léa Serror
Production Collectif le Grand Cerf Bleu
Soutien Théâtre Paris-Villette, Théâtre de la LogeLe Collectif Le Grand Cerf Bleu est associé à La Manufacture – Centre dramatique national de Nancy-Lorraine et artiste compagnon de la Scène nationale d’Aubusson en 2018-2019 et artiste associé au Théâtre de l’Union – Centre Dramatique de Limoges en 2019-2020.
Spectacle créé à La Loge en 2016.
Durée : 1 h
Avignon OFF
6 > 15 juillet 2021 ⁄ 12h05 – La Manufacture intramuros
Rue des Ecoles
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