Entouré d’une équipe de fidèles parmi les fidèles, le plasticien et metteur en scène bâtit une exposition-performance sidérante, de celles qui bouleversent la perception du réel.
En art, comme ailleurs, il suffit parfois d’un regard, ou plutôt d’un échange de regards, pour faire basculer dans un autre univers. Et il fallait le voir ce dialogue sans paroles entre cet enfant et cette mère, ce créateur et cette créature, ce jeune chaman puissant et cette femme à bout de forces qui ouvre l’exposition-performance de Théo Mercier. Intense et ravageur, il semblait contenir en lui bien des tourments de l’âme humaine et se faire le reflet, tout à la fois, de l’espoir et du désespoir, de la joie des retrouvailles et du déchirement d’une séparation, de l’épiphanie d’une renaissance et du chagrin des derniers instants. De ceux, donc, qui s’impriment en négatif sur la rétine jusqu’à bouleverser la perception du monde. Et il est là le secret du travail du metteur en scène, dans sa façon, toujours, spectacle après spectacle, de Radio Vinci Park à Affordable Solution for Better Living, de faire naître un environnement nouveau pour ébranler les certitudes et apposer son empreinte sur une page intellectuelle la plus vierge possible.
C’est d’ailleurs débarrassés de leur barda quotidien, chaussures et sacs déposés dans le vestibule d’entrée, que les spectateurs pénètrent dans les sous-sols de la Collection Lambert. A mi-chemin entre un vaisseau spatial digne de 2001, l’Odyssée de l’espace et un bunker survivaliste post-apocalyptique, l’espace brouille immédiatement les sens. Des lumières savamment travaillées à la musique subtilement hypnotisante, tout est pensé, dosé, millimétré pour faire instantanément oublier le fracas du réel, à commencer par ces sculptures de sable, impressionnantes par leur taille et magistrales par leur finesse. Réalisées par David Enguerrand et Marielle Heessels, avec un mélange d’eau et de sable quasi-poussiéreux qui leur offre ses propriétés sculpturales, elles apparaissent comme les vestiges d’un monde en perdition. De l’homme, il ne reste qu’un pied ; du règne animal, qu’un chien endormi ; de l’église gothique, qu’un amas de ruines ; de la forêt, qu’une série de troncs, souvent brisés, parfois tranchés. Comme si la civilisation avait, cette fois, bel et bien trépassé.
Et, au milieu, se tient un enfant. D’abord à genoux et immobile, il se transforme bientôt en guide muet de cet Outremonde. Il part à la rencontre de trois âmes errantes, femme sortie du sable, homme pendu à la manière de la carte douze du tarot et grand-mère en train d’enterrer son chien. A leur contact, tout se passe comme s’il rejouait son avenir avant même de l’avoir vécu, comme s’il avait déjà tout perdu avant même que sa vie ne commence. Ne reste alors que l’humanité profonde qui transparait à travers les échanges corporels de ce maître omniscient et de ses fantômes, précisément chorégraphiés par Steven Michel. De Lucie Debay à Marie de Corte, en passant par Grégoire Schaller, le trio de comédiens qui donnent le change au troublant Melvil Fichou, dix ans et déjà doté de l’aplomb des grands, chargent chacun de leurs gestes, y compris les plus minimes, d’une puissance hautement signifiante, bouleversante, paradoxalement teintée de l’émoi de la découverte et de la douceur de la reconnaissance.
Ainsi cueillis, comme sidérés, les spectateurs sont fin prêts à recevoir ce que Théo Mercier appelle « le poème de la matrice », qui clôt le parcours, et ouvre l’horizon, de son Outremonde. Vêtue d’une tunique bleue brillante d’élégance – à l’image de l’ensemble des costumes de Colombe Lauriot Prévost conçus, tels des secondes peaux, pour faire corps avec l’installation –, raccord avec l’auditorium de la Collection Lambert, la musicienne et performeuse Rebeka Warrior se fait prêtresse céleste et se lance dans une imprécation « entre le calme et le chaos », qui ravit moins par son propos hermétique que par son formalisme captivant d’étrangeté. Sorte de prière pour faire advenir un monde nouveau, elle navigue entre l’immanence et la transcendance, la permanence et l’éphémère, à la manière de ce sable qui, une fois l’exposition achevée, retournera à la carrière, telle la poussière qui, toujours, redevient poussière.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Outremonde – Volet n°1
Conception Théo Mercier en collaboration avec les interprètes
Avec Marie de Corte, Lucie Debay, Grégoire Schaller, Rebeka Warrior et, en alternance, Paul Allain et Melvil Fichou
Sculptures de sable David Enguerrand, Marielle Heessels
Dramaturgie et texte Jonathan Drillet
Chorégraphie Steven Michel
Lumière François Boulet, Victor Burel, Paolo Gérard, Théo Mercier
Musique et son Pierre Desprats, Rebeka Warrior
Son Vanessa Court
Costumes Colombe Lauriot PrévostProduction Studio Théo Mercier, Compagnie Good World, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings
Coproduction Collection Lambert en Avignon, Festival d’Avignon, Bonlieu Scène nationale Annecy, CCN-Ballet national de Marseille, Théâtre National de Bretagne
Avec le soutien de la Fondation des Artistes, du Fonds de dotation Emerige
Mise à disposition du studio Centre national de la danseThéo Mercier est artiste associé à Bonlieu Scène nationale Annecy et au Théâtre National de Bretagne.
Durée : 50 minutes
Festival d’Avignon 2021
Collection Lambert
du 10 au 20 juillet
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !