Adressé aux jeunes ados comme aux adultes, qui le sont forcément, quelque part, restés un peu, La plus belle fille du monde se demande comment ne pas perdre pied quand quelqu’un qui semble parfait déboule dans son entourage. Un excellent spectacle tout terrain, comédie sérieuse et très drôle, qui mêle habilement les moments musicaux à un texte adapté d’un roman d’Agnès Desarthe.
Que faire quand la plus belle fille du monde débarque dans ta classe de seconde ? C’est la question que pose le roman d’Agnès Desarthe, adapté ici pour la scène par Marie Desgranges, en compagnie de Claire Boust et Philippe Thibault. Le trio interprète une bande de copains – deux filles et un garçon – qui sont liés depuis la maternelle par la mort de leur maîtresse. Cela pourrait paraître triste, mais c’est plutôt mortel. Car l’amitié des trois inséparables déborde de fantaisie et de complicité. Elle va cependant traverser quelques remous avec l’arrivée de cette Liouba Gogol à la plastique incomparable, qui, en plus d’être la plus belle fille du monde, est intelligente, drôle, modeste… Bref à la fois parfaite et irrésistible.
Spectacle transportable et donc léger, élaboré avec très peu de scénographie, essentiellement des instruments de musique que les comédiens – notamment Philippe Thibault – empoignent par moments pour accompagner des chansons parfois délirantes, pleines d’ironie, variant les genres et donnant au spectacle une couleur bien particulière, La plus belle fille du monde déploie une ribambelle de réflexions aussi profondes qu’amusantes sur l’adolescence, nourries par l‘écriture piquante d’Agnès Desarthe. « Quand devient-on adulte ? », « N’y aurait-il pas une détestation des enfants et des ados dans notre société ? » et tant d’autres interrogations sur l’amitié, la beauté, la place dans le groupe rythment ce spectacle alternant textes et chansons, également écrites par Agnès Desarthe, qui tournent sans relâche le sérieux en dérision – mentions spéciales à l’odieuse évocation de l’odeur des ados et à un hilarant final sur le physique pas facile.
Les passages musicaux ne cherchent donc pas à se la jouer, mais laissent glisser l’histoire sur les pentes du délire et de la transgression, et rythment de manière décousue, sans rien de systématique, un spectacle toujours dynamique et rebondissant. La narration s’articule autour du personnage de Sandra Walser, ado ordinaire qui échappe pourtant à tout schéma. Pour autant, la pièce n’a pas d’autre mécanique générale que le cours du récit. De digressions en scènes de classe, elle produit un gag à la seconde sans oublier de nous laisser souffler.
Ramassée autour de ce problème auquel nous sommes tous confrontés et qu’on ne résout jamais vraiment – que faire face à celles et ceux que l’on envie, et qui paraissent supérieurs ? Comment éviter la petitesse, la jalousie, arrêter de se comparer, et finalement retrouver confiance en soi ? –, La plus belle fille du monde traverse à toute vitesse une ribambelle de questions que l’adolescence ne fait que commencer à poser, en passant par le mythe d’Achille, les souris, les pandas, les imitations foireuses de Fleur et des adultes pleins de hauteur qui ne comprennent pourtant jamais grand-chose. Toujours surprenant, sur une pente du comique continuellement crescendo, La plus belle fille du monde produit, c’est le moins que l’on puisse dire, une très belle rencontre.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
La plus belle fille du monde
Texte Agnès Desarthe
Adaptation et mise en scène Marie Desgranges
Avec Claire Boust, Marie Desgranges, Philippe Thibault
Musique Marie Desgranges et Philippe ThibaultProduction Sorcières&Cie / Eia ! portée par le Bureau des Filles
Durée : 1h
Festival Off d’Avignon 2022
Théâtre du Train Bleu
du 8 au 27 juillet à 14h10 (relâches les 14 et 21)
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